De Nukus à Ferghana : Voyage entre déserts, oasis et rencontres en Ouzbékistan
De la chaleur étouffante du désert de Nukus aux nuits étoilées dans notre recherche d’oasis, notre voyage sur la Route de la Soie nous a guidés vers des rencontres imprévues, des paysages insoupçonnés et des gestes d’hospitalité pour découvrir l’âme profonde de l’Ouzbékistan.
S’ENFUIR DU DÉSERT, DE NUKUS À BOUKHARA
À Nukus, deux nuits étaient prévues, juste le temps de laver nos affaires. Mais la lessive, facturée comme un costume de mariage, nous fait fuir plus tôt. Un chauffeur nous dépose à une station-service où des inconnus glissent des sodas dans nos sacs. Puis Yulduz, un camionneur parti de Moscou, nous prend pour Boukhara : dix heures de route dans l’immensité désertique. Khiva n’était qu’un détour coûteux en énergie, alors nous suivons son chemin. Le soir, repas partagé avec d’autres routiers : bières, poisson frit et pain trempé dans la sauce tomate. La route reprend sous les ventilateurs et la musique. À 4h du matin, Yulduz s’accorde une pause ; la chaleur étouffante envahit le camion. À l’aube, soda, quelques kilomètres, puis un café sucré et des pains frits sur un stand de bord de route. Enfin, Boukhara : Yulduz nous dépose à l’entrée, vigilant avec la police. Une autre voiture nous mène en centre-ville.
UN BUSINESSMAN VERS SAMARCANDE
À la sortie de Boukhara, un businessman nous prend en stop. Il ne conduit pas, son chauffeur exécute : « On mange ici, on visite là. » Viande bouillonnée, sodas, bières, glaces. Les publicités pour les sodas envahissent les comptoirs au bord des routes. L’eau courante étant impropre à la consommation, les sodas sont malheureusement préférés aux bouteilles d’eau, vendues presque au même prix. Il nous dépose à l’entrée de Samarcande. Une demi-heure de marche nous mène chez notre hôte russe, Alexander, absorbé par son travail à distance. Nous explorons la ville, tandis qu’il reste derrière son écran. Après avoir arpenté les villes foisonnantes de la route de la soie, nous aspirons à nous éloigner de l’urbanité pour découvrir ce que révèle la nature ouzbèke.
À LA RECHERCHE D’ESPACES NATURELS POUR UNE NUIT ÉTOILÉE
Le lac Aydar apparaît alors sur notre GPS, tel un nez sur un visage. Le stop nous mène à deux amis généreux, puis à un camionneur qui nous laisse près d’un entrepôt. Alors qu’on hésite à camper, deux autres voyageurs en route pour un mariage nous offrent quelques kilomètres de plus et nous conseillent un endroit où camper et nous suggèrent Zaamin, une oasis verte.
Le lendemain, nous atteignons un village proche du lac en stop. La chaleur est écrasante pendant notre heure de marche. On s’abrite sous des rochers, surplombant l’eau. Le même conducteur de ce matin repasse, guidant son troupeau de vaches, et se baigne un instant avant de repartir. La fraîcheur revient, il est temps de repartir. À la sortie du village, un chauffeur s’arrête : ses amis, trois géologues, nous invitent où ils logent. Pain, nouilles, plov et bière. Le propriétaire cultive des pastèques. Nous dormons à même le sol, pendant qu’eux dorment dans leurs lits disposés dehors sous les étoiles.
DERNIERS SOUBRESAUTS AVANT TACHKENT
Au matin, nous repartons vers Zaamin. Plusieurs conducteurs nous avancent jusqu’à une route bloquée : le président ouzbek est de passage dans la région, et chaque cinq mètres, un policier surveille. Un taxi est forcé de nous embarquer jusqu’à un point d’entrée payant du parc. Un gardien, qui suit des voyageurs sur les réseaux sociaux, nous aide à entrer gratuitement et nous trouve un endroit où camper. La nuit est fraîche, rare ici.
Au réveil, des familles envahissent notre bivouac. On lève le camp : le parc, rongé par les complexes hôteliers, a perdu sa magie. Tachkent nous appelle. En chemin, nous faisons halte à Zaamin avant d’atteindre la capitale, accueillis par deux frères travaillant dans l’IT, dont l’un étudie aux États-Unis. Après une visite au marché, nous repartons vers Ferghana, avec en tête l’idée de visiter un atelier traditionnel de soie.
FERGHANA ET LA MAGIE DE L’AUTOSTOP
De Tachkent à Ferghana, plusieurs conducteurs nous avancent. Nous descendons à la tombée de la nuit près de buibui éclairés pour camper à quelques mètres de la route, bercés par le bruit des poids lourds. À l’aube, un camion nous mène à Marguilan, où nous découvrons un atelier de soie. Nous y croisons des ouvriers et deux touristes francophones, voyageant au gré des billets d’avion les moins chers.
Reprenant la route, un dernier véhicule nous prend : un taxi en mission de livraison. Arrivés à destination, nous expliquons la méprise au chauffeur sous le regard de la cliente, Anastasia. Elle parle parfaitement anglais et connaît Couchsurfing. En quelques minutes, elle mobilise ses contacts pour nous trouver un hébergement. C’est ainsi que nous rencontrons son ami, Samandar. Avec lui, Anastasia et leur professeure d’anglais, nous partageons une glace, puis une pizza. Le colis qu’Anastasia venait chercher était un cadeau pour sa professeure, sur le point de retourner aux États-Unis : un cadre avec une photo d’elle et ses élèves.
Chez Samandar, nous découvrons un autre mode de vie. Dans son village, la famille est une entité indissociable. En tant que cadet, il est destiné à vivre avec ses parents pour s’occuper d’eux. Il nous confie, hilare, les tensions que cela peut engendrer avec une épouse sous l’œil d’une belle-mère omniprésente. Son avenir semble tracé : une fiancée choisie avec l’aval familial, un départ temporaire opportun en Corée du Sud pour étudier, puis un retour dans la maison familiale. Brillant, il analyse son monde avec une rare lucidité. Se disant paresseux, il a transformé ce trait en force : en un an, il a appris l’anglais et gagne sa vie en quelques heures de travail par jour chez lui.
Sa famille nous reçoit avec honneur. Le lendemain, sa mère et sa sœur nous préparent le meilleur plov que nous ayons mangé, accompagné de pains ouzbeks et de thé. On rencontre son père en visioconférence. Il vit à Moscou, où il travaille depuis plusieurs années, et devrait enfin rejoindre la maison familiale d’ici quelques mois. Plus tard, nous rendons visite à sa grand-mère et à ses cousins. Autour d’une table, nous assistons à une prière en ouzbek. Les yeux fermés, elle récite d’une voix vive, tandis que les autres ponctuent ses paroles de murmures. Puis, dans un sourire, elle invoque Allah, ouvre les yeux et nous tend de l’argent béni. Impossible de refuser : c’est pour elle un acte sacré. L’heure du départ sonne. Samandar et sa famille insistent pour payer nos billets de bus. Nos refus n’y changent rien. Leur hospitalité dépasse toute valeur monétaire : elle touche au sacré.