Femme Kirghiz dans sa yourte près du lac Ozero, région d'Osh, Kirghizistan. @helene_decaestecker

Kirghizistan : bivouaquer dans les vallées pour explorer les traditions nomades

En entrant à Osh, on quitte les paysages désertiques de l’Ouzbékistan. On y retrouve Aida, une jeune femme kirghize qui nous héberge. Elle s’en sort en apprenant comme elle enseigne : en donnant des cours d’anglais à des enfants. C’est le deal : on va l’assister dans son école pour l’aider. Elle nous confie qu’elle va se marier dans quelques mois avec un Russe et, spontanément, nous invite à son mariage. On mange au sol, on dort au sol. Le lendemain, on se réveille avec un objectif : rejoindre Sary-Tash pour rencontrer les locaux et découvrir leur mode de vie. C’est le début d’un voyage à travers une nature verdoyante, un contraste saisissant avec l’Ouzbékistan.


MARCHER À CONTRE-SENS À SARY-TASH : TROUVER OÙ SE PERDRE

Un premier conducteur nous dépose à quelques kilomètres de la ville avant qu’un camion nous prenne à son bord. Le long des routes, des pastèques s’étalent sur les stands comme des sacs de billes renversés à la hâte. À l’horizon, des chevaux aux muscles bruns accompagnent des nuages laineux qui coiffent les moutons. Un vert omniprésent s’étale, souvent trempé par les éclairs. Nous atteignons Gulcha, notre première étape, où nous décidons de planter la tente sur une colline.

Le lendemain, un second camion à destination de la Chine accepte de nous emmener jusqu’à Sary-Tash. À notre arrivée, le froid nous envahit : nous avons grimpé en altitude. Le village semble fantomatique, austère. Une unique boutique attire les rares passants. Quelques touristes s’y rassemblent, tous en route vers le même objectif : le pic Lénine, sommet gigantesque dominant l’horizon. Des enfants nous encerclent en criant « money ». On se sent bêtes. La pluie commence à tomber à la sortie du village. On installe la tente au plus vite. L’orage gronde, les éclairs se rapprochent dangereusement. Moins d’une seconde entre la lumière qui lacère le ciel et le fracas assourdissant qui suit. On se sent très bêtes, une seconde fois.

Au matin, plutôt que de suivre l’itinéraire classique, nous décidons d’explorer les vallées environnantes. Au bord de la route, des locaux coiffés d’Ak-kalpak, drôles de chapeaux en feutre nous interpellent, curieux. On nous invite à les essayer, et la rencontre se transforme en une séance photo improvisée. 


ATTEINDRE DIFFICILEMENT LES VALLÉES ISOLÉES POUR RENCONTRER LES LOCAUX

Nous montons dans une voiture qui nous dépose à un croisement près d’un lac isolé. Nous marchons plusieurs heures avant d’atteindre une vallée escarpée. Enfin, des dizaines de yourtes apparaissent sous la pluie battante. Le ciel est tourmenté mais moins menaçant que la veille. Les habitants nous accueillent chaleureusement, nous offrent du lait de jument et nous invitent à une prière. L’intérieur d’une yourte est sobre : un tapis, une peau de chèvre suspendue qui sert de récipient pour conserver et servir le lait. Dans nos bols, des grumeaux jaunes flottent. « C’est bon pour la santé », comprend-on. La famille vit à Osh toute l’année et revient ici chaque été pour perpétuer les traditions nomades d’autrefois. Nous les laissons à leurs occupations et allons observer le bétail avant de récupérer nos sacs abandonnés sur le chemin. Puis, nous contournons le lac et reprenons la route.

Sur le chemin du retour vers Osh, l’envie d’aventure nous pousse à tenter un autre itinéraire. Un conducteur kirghize nous avait montré une vallée sur son téléphone. Intrigués, nous faisons alors du stop vers cette vallée. Une première voiture nous dépose à un croisement, une seconde nous emmène dans un village isolé. Ce n’est pas l’endroit que nous cherchions. Tant pis, allons camper. Un dernier stop nous sort de cette impasse. Un pick-up s’arrête, conduit par un vieil homme accompagné d’un enfant. Via Google Translate, nous lui expliquons notre destination : la vallée de Murdash. Il affiche un large sourire et nous fait signe de monter. Il redémarre… dans le mauvais sens. Retour au village que nous venons de quitter à pied. Que fait-on ? On comprend vite qu’il doit d’abord livrer des affaires à sa famille avant de reprendre la route. Puis, le paysage se transforme. Une route sinueuse s’enfonce dans un canyon étroit. La rivière coule à contre-sens, parfois sous nos roues. Le trajet s’éternise. Une vallée, puis une autre, puis une troisième. Chaque recoin plat, abrité du danger des rochers, révèle des yourtes dispersées. À chaque tournant, nous croyons atteindre notre destination, mais la route continue de grimper, escaladant la montagne jusqu’aux nuages.

Enfin, une vaste vallée s’ouvre. Des dizaines de yourtes s’éparpillent sur l’herbe verte. L’odeur du barbecue flotte dans l’air. Les enfants courent vers leurs jeux. Les adultes se disputent une partie de volley, leurs rires résonnent sous la pluie. Autour des yourtes, les troupeaux paissent librement : vaches, moutons et chevaux, sauf quelques juments et vaches gardées pour la traite. La viande, aliment principal, est omniprésente. À notre arrivée, un yak se fait dépecer. Nous plantons la tente, attisant la curiosité des habitants. On nous demande de capturer l’instant en photo. Nous observons les parties de volley sous la pluie, les coups de martinet sur les veaux pour les éloigner de leurs mères, les immenses balançoires propulsées par la force des enfants, les sourires, la crasse sur les visages, les bottes enfoncées jusqu’aux mollets, les chapeaux étranges sur la tête des hommes encore, semblant aussi instables qu’un château de cartes. On nous invite à boire le thé, puis à partager un barbecue. De bon matin, une petite fille, Hanzada, et son petit frère sont venus à notre tente avec un bol de kaymak (crème de lait) et nous ont invité à rejoindre leur famille. La viande trône encore sur la table au petit déjeuner. Le repas de midi n’échappe pas à la règle. Déjà, il est temps de repartir vers Arslanbob, en suivant des amis kirghizes retournant à Djalalabad. L’été, ils perpétuent leurs traditions nomades. L’hiver, ils retrouvent leur vie sédentaire en ville.


PASSAGE DANS LA FORÊT D’ARSLANBOB

Après plusieurs nuits sous tente dans les vallées, nous en passons une autre sur la route pour rejoindre Arslanbob en stop, dans un champ de pommes de terre, pour éviter un hôtel trop cher. À quelques kilomètres d’Arslanbob, nous montons dans la voiture d’un professeur de lutte, accompagné de ses élèves en route pour un stage d’une semaine. Il nous invite à partager un repas avec eux : du boorsok, pain frit traditionnel kirghiz, servi avec du thé brûlant. Autour de la table, nous apprenons que la lutte est le sport national du Kirghizistan, l’un des rares dans lequel les Kirghiz décrochent des médailles aux Jeux olympiques. Le professeur, passionné, dédie sa vie à cette discipline. Il porte une veste frappée du nom de l’équipe nationale et un t-shirt arborant le logo des Jeux asiatiques de lutte. Après l’avoir chaleureusement remercié, nous rejoignons le centre-ville, où nous décidons de prendre une chambre dans une auberge. Une pause bienvenue pour laver nos vêtements et préparer une randonnée dans les vallées et la forêt environnantes. Nous y rencontrons d’autres voyageurs qui nous partagent de précieux conseils.

Dès le départ pourtant, nous nous perdons sur les différents chemins avant de retrouver le bon sentier, celui qui mène à une vallée perchée d’où l’on mesure toute l’immensité des lieux. Nous décidons d’y camper, entourés de troupeaux en liberté et bercés par le fracas lointain des cascades. Le lendemain, nous redescendons vers la plus grande forêt de noyers du monde. Sous un ciel menaçant, nous cherchons un endroit dégagé, loin des arbres centenaires, de peur qu’un éclair ne vienne en foudroyer un au-dessus de nos têtes.

Après les vallées, ce sont les lacs que nous décidons désormais d’explorer en autostop. Une nouvelle quête commence, guidée par les hasards de la route et les promesses d’horizons inconnus.

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