Vue sur les sommets depuis le col d'Ala-Kul, Kirghizistan. @helene_decaestecker

Kirghizistan : Se perdre dans les montagnes pour explorer les lacs

Après notre aventure immersive dans les vallées, on décide de poursuivre notre route en autostop vers les lacs kirghizes : Son-Kul, Issyk-Kul et Ala-Kul.

LE PAYSAGE MÉDITATIF DU LAC SON-KUL

Plusieurs heures de marche nous ont finalement permis de rencontrer un groupe d’amis kirghizes dans leur voiture surchargée de vivres en direction de Son-Kul. Arrivés là-bas, le froid nous enveloppe. Le ciel s’alourdit, et nous installons la tente juste avant l’averse. Un arc-en-ciel s’étire au-dessus des chevaux errants avant que des éclairs viennent rythmer la nuit. Désormais habitués à l’orage, le tonnerre n’est plus aussi terrifiant.

Le lendemain, nous longeons le lac à pied. Son immensité nous laisse figés. Les averses nous forcent à des haltes sous la tente. La météo transforme sans cesse le lieu, comme une géante aquarelle colorée par les nuages et le soleil. En chemin, nous croisons des Kirghizes à cheval, menant leurs troupeaux avec la sérénité de ceux qui appartiennent à ces terres. Nos vivres s’amenuisent : les amandes et le pain ont été engloutis trop vite. L’autostop devient une nécessité, mais la pluie nous retient pour une nuit supplémentaire.

Au matin, pouce levé, l’attente s’étire. Une famille en pickup nous embarque, couvrant en minutes ce que nos jambes mettaient une journée à parcourir. Nous croisons des cyclistes en lutte avec les pentes, admirons leur bravoure, compatissons à leur labeur. Sary-Bulak atteint, nous filons vers un repas salvateur. Des cyclovoyageurs se dispersent, poussiéreux, vêtus de leurs cuissards, contrastant avec les habits des locaux. Repus, nous poursuivons. Kotchkor nous accueille pour quelques courses et une pause dans un café. Autour d’une table, des voyageurs doutent, tergiversent sur le meilleur accès à Son-Kul. Nous soufflons : « L’autostop. » L’une hésite, cogite, réalise qu’hésiter, c’est déjà perdre du temps et se décide à tenter l’expérience.


L’IMMENSITÉ ET LA DIVERSITÉ DU LAC ISSYK-KUL

En route vers Issyk-Kul, Bahar nous embarque. Coach sportif, il fait un détour pour nous déposer à Balykchy. Il propose l’hôtel de sa sœur, mais nous préférons la plage. Il nous guide vers un recoin oublié des touristes. Vestiges soviétiques, parasols rouillés, lac immense. Bain de minuit sous une voûte étoilée. L’aube nous trouve de nouveau dans l’eau. Nous marchons vers la route, traversant un complexe touristique grouillant de vie. Les cris d’enfants russes s’éloignent.

En faisant du stop, un couple en provenance de Bishkek, Beku et sa femme, nous invitent à Tcholpon-Ata. Repas partagé, numéros échangés. Un autre conducteur propose le thé, mais nous n’avons que dix kilomètres derrière nous et la nuit approche. Nous continuons. Un van s’arrête. Trois jeunes Kirghizes. L’un, studieux et résolu, partira bientôt à l’étranger. Un autre, encore imprégné de la nuit précédente, oscille entre chants et provocations. Le dernier, ancré dans sa terre, lutteur, s’occupe du domaine familial. Sandwichs industriels offerts, nous arrivons quelques heures plus tard à Karakol. Alors que nous cherchions un lieu pour camper, le dernier des trois, Nurbol, propose de nous héberger. Chez lui, Nurbol nous offre un repas tout en nous donnant de précieux conseils pour l’ascension de Ala-Kul. Il nous trace un itinéraire : sources chaudes, camps, col escarpé, descentes abruptes…


ALA-KUL, LE PRIX DU CIEL

Le matin, provisions faites, nous avançons sous un soleil de plomb. Un faux taxi nous prend sans un mot. Lorsqu’il saisit la méprise, il nous dépose heureusement au départ du sentier. Plus loin, des bus soviétiques bringuebalent les touristes jusqu’à Altynarasan, vestiges d’anciens convois militaires. Là-bas, un camp de yourtes et, surtout, une source chaude cachée, révélée par un guide.

La nuit tombe. Silence et étoiles. Le froid mord, mais l’eau fumante enlace. À l’aube, dernier bain chaud avant l’ascension. Puis la pluie. La boue. Chaque pas s’alourdit. Les randonneurs se déchaussent pour traverser les rivières, tandis que les chevaux ploient sous le poids des touristes tout sourire. Plus loin, le bivouac au pied du col. Le lendemain, on s’offre un festin qui n’est que le reste des touristes d’un camp déserté. Un répit avant l’assaut final.

Le sentier devient raide, puis rocailleux, traître. Un faux pas, la chute est assurée. L’un de nous se retrouve bloqué, une escalade improvisée s’impose sur ce col devenu paroi. Chaque prise est cruciale. L’adrénaline pulse. Enfin, l’horizon se dévoile. Ala-Kul explose en couleurs, offrande après l’effort. Ala-Kul se mérite. Ses sentiers façonnent la patience, son ascension consume les muscles et attise l’attente. Puis, au dernier col, il surgit : un éclat turquoise serti entre les cimes. L’effort s’efface. Seule demeure la beauté, perchée à 3532 mètres d’altitude.

Nous descendons au lac, poussés par la faim et le besoin d’une pause. L’air vif fouette le visage, l’eau glacée défie notre bravoure. Nous respirons, contemplons. Ici, tout est pur. Une averse approche. Nous reprenons la route. La descente est rude, les roches instables, la pluie rend la boue traîtresse. Nous glissons, trébuchons, mais avançons. Enfin, un pont nous mène à la route vers Karakol. Presque à court de vivres, nos envies festives nous font acheter une bière et des chips pour accompagner notre dernier repas. Étrangement, une fillette nous sert sous l’oeil de sa mère puis accourt vers leur yourte. Un vieil homme surgit, exhibe une carte militaire et exige de l’argent. Nous refusons, indifférents à cette corruption trop familière. Une heure de marche pour nous éloigner de cette situation avant de trouver un coin sec pour camper.

Au matin, sept kilomètres jusqu’au parking. Un couple, Jamal, Aigul et leurs enfants nous prennent en stop et nous invitent à Bichkek. Après un repas au restaurant, nous rendons visite à Bahar, absent, mais sa femme, Jena, et sa famille nous accueille chaleureusement. Reposés, nous quittons la ville. Un autre couple, Aziz, dentiste, et Nurzhaz, nous prend en stop et nous invite à pique-niquer au lac. Nous partageons une baignade dans le lac et une pastèque juteuse. La femme est enceinte. Son mari, en confidence, me confie le prénom qu’il rêve de donner à son enfant si c’était un fils. Le soir, ils nous déposent dans une vallée voisine, Jeti Oguz, où nous campons. Avant de les quitter, nous goûtons le Ashlan Fu, plat typique de Karakol, une soupe de nouilles froides avec des légumes, des oeufs et de la sauce soja.

Après un passage dans la vallée de Barkson et dans les canyons, on croise Sophie et Baptiste par hasard, deux français que nous avions rencontrés plusieurs mois auparavant en Slovénie. On passe la nuit ensemble en posant nos tentes sur la plage avant de mettre le cap sur Bichkek pour y retrouver nos hôtes rencontrés sur la route. Tout en découvrant Bichkek, nous apprenons à mieux les connaitre : par exemple, pour vivre, le premier couple achète et vend des pneus tandis que le second conçoit et vend des vêtements vers Moscou.

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