Xinjiang en stop : traverser la frontière chinoise et naviguer dans l’inconnu vers la Mongolie
Traverser la frontière chinoise en autostop depuis Almaty s’annonce comme une aventure semée d’embûches : entre l’attente interminable sous un soleil de plomb, les refus répétés et les imprévus administratifs, chaque étape teste notre patience et notre détermination. Mais une fois en Chine, le voyage prend une nouvelle tournure, entre découvertes culturelles marquantes et défis logistiques inattendus.
TRAVERSER LA FRONTIÈRE CHINOISE EN AUTOSTOP DEPUIS ALMATY : UN DÉFI LOGISTIQUE
Quitter Almaty en autostop est une épreuve. Un bus nous dépose à la périphérie de la ville, loin du tumulte, mais il nous faut encore marcher, sous une chaleur accablante. Tour à tour, nous nous relayons sur le bord de la route, cherchant à nous protéger du soleil. Les voitures passent, indifférentes. Après de longues tentatives infructueuses, nous décidons de poursuivre à pied, espérant un meilleur endroit pour lever le pouce.
Finalement, un camion s’arrête à la tombée de la nuit. Nous demandons au conducteur de nous déposer à une demi-heure du poste-frontière, où nous installons la tente à l’abri de la route. La frontière est sûrement fermée à cette heure.
Au matin, l’attente reprend. Une heure passe avant qu’un conducteur accepte de nous prendre. Mais au lieu de nous avancer, il nous ramène au centre-ville le plus proche, où une station de bus propose des trajets vers Korgas, la ville chinoise frontalière. Il y a foule. Impossible de trouver une information claire sur les prix. L’idée de faire la queue pour découvrir un tarif exorbitant nous lasse d’avance. Nous reprenons le stop.
Une heure plus tard, un homme bienveillant nous conduit directement au poste-frontière. Les milliers de voitures identiques parquées le long de la route, parfois stationnées sur l’autoroute même, attendant d’inonder les marchés internationaux en attestent : La chine est proche. « Elles partiront bientôt pour l’Europe ou la Russie », explique notre chauffeur. On remarque des grattes-ciels chinois de l’autre côté de la frontière qui contrastent avec le désert kazakh.
À l’entrée du poste-frontière, l’incompréhension s’installe. Les gardes nous barrent le passage : impossible de traverser à pied. Pourtant, des cyclistes arrivent dans l’autre sens. Comment ont-ils fait ? Les échanges avec les agents se succèdent, jusqu’à tomber sur le plus borné d’entre eux. Il refuse de nous écouter : retour au centre-ville, bus obligatoire, prix exorbitant. Nous patientons, ne sachant plus trop comment avancer. Puis un homme en civil s’approche, plus amical. Sans qu’on comprenne pourquoi, il sort de l’argent et insiste pour nous le donner. Nous n’avons plus assez de cash pour payer le bus, pensant ne plus en avoir besoin. Il nous force presque à accepter. Selon lui, c’est la seule option. Faire demi-tour n’est même pas envisageable. Nous voilà donc à chercher un bus. Dix refus plus tard, l’un d’eux accepte enfin de nous prendre, ainsi que l’argent qu’on nous a tendu. Serrés entre les passagers assis, nos sacs encombrant le passage, nous avançons debout, tanguant au rythme des cahots.
À l’entrée du poste-frontière, il faut descendre, récupérer nos affaires et affronter la douane. La foule se presse, s’agite. Certains se battent pour grappiller quelques places. Les SAS Covid, vestiges froids d’une époque révolue, n’ont plus de raison d’être mais trônent encore là, inutiles. Des chiens reniflent les voyageurs, flairant d’éventuelles infractions. Alors que le passage est long, le contrôle est plutôt rapide. Passeports, empreintes, quelques questions sur notre itinéraire. Déjà, il faut remonter dans le bus. Quelques minutes plus tard, nous posons enfin le pied en Chine.
PREMIERS PAS EN CHINE : ENTRE DÉCALAGE HORAIRE ET APPLICATIONS LOCALES
À peine entrés en Chine, on s’étonne : nos cartes SIM fonctionnent, nos applications ne sont pas bloquées. Pourtant, impossible de se repérer efficacement, aucune connexion aux données locales. Une seule application nous sauve : Google Traduction, qui interprète avec précision le chinois simplifié. Très vite, on comprend qu’il nous faut un GPS fiable. Le temps presse : trois heures de décalage avec le Kazakhstan nous volent déjà une partie de la journée.
Sur les marches massives du poste-frontière, on interpelle les premiers Chinois que l’on croise. Ils nous confirment que Baidu Maps, l’outil le plus précis, n’existe qu’en chinois. Alors, on improvise : capturer l’écran, traduire chaque image avec Google. Une méthode bancale mais nécessaire. Nos guides improvisés, bienveillants, nous conseillent d’installer WeChat, le WhatsApp chinois, bien plus qu’une messagerie : un portefeuille, un traducteur, une clé pour ouvrir les portes du pays. Mais l’application exige un parrainage. Un citoyen chinois doit nous valider. D’un geste rapide, l’un d’eux s’en charge. En quelques secondes, notre carte bancaire devient utilisable. Ils nous escortent ensuite vers un bureau de change, s’assurant qu’aucune arnaque ne vienne alourdir notre fatigue.
Ces deux dernières journées nous ont lessivés, et la perspective de traverser cette ville immense en autostop ce soir nous semble irréalisable. L’idée d’un hôtel flotte dans nos esprits, mais nos compagnons d’un instant soufflent une alternative : un train de nuit pour Ürümqi, 500 kilomètres plus loin. Dix euros seulement, et nous arriverons au matin, évitant les hôtels qui refusent les étrangers, surtout dans cette région où la situation des Ouïghours rend tout plus opaque. Surtout, notre visa ne nous accorde que quinze jours pour atteindre la Mongolie. L’idée nous séduit. Ils nous déposent à la gare, nous glissent des bouteilles d’eau en cadeau d’adieu.
LE TRAIN DE NUIT VERS ÜRÜMQI : UNE EXPÉRIENCE CHAOTIQUE ET BRUYANTE
Avant d’entrer, l’un de nous part chercher de quoi grignoter avec nos dernières pièces. Quelques pains, des bouteilles d’eau supplémentaires. À l’entrée de la gare, notre opinel nous est confisqué. Arrivés au guichet, nouvelle contrainte : il ne reste que des places debout. On n’a pas le choix, on accepte. Dans la salle d’attente, on remarque des distributeurs d’eau potable et d’eau chaude. Partout, des voyageurs préparent leurs nouilles instantanées. Puis, vingt minutes avant le départ, la cohue s’empare de la gare. Les files s’effacent, chacun tente de doubler l’autre. Le personnel hurle dans des mégaphones stridents, tentant d’instaurer un semblant d’ordre.
Une fois à bord, on file voir les agents dès que le train démarre, dans l’espoir d’obtenir des places assises. La chance nous sourit : il en reste. On s’installe, tentant une sieste, mais l’ambiance est électrique. Les passagers sont bruyants, nous sommes postés entre les toilettes et la porte d’un wagon voisin où les voyageurs défilent sans cesse pour aller fumer. Chaque ouverture libère un souffle de tabac âcre qui nous fouette les narines.
Tout près, deux Chinois festoient : bières, nouilles, cuisses de poulet, œufs sous vide. Ils mangent, rient, rotent sans retenue avant de sombrer dans un sommeil étrange. Ils transforment leurs quatre sièges en un lit improvisé, leurs corps en équilibre improbable, suspendus au-dessus du vide. Ils ronflent, bruyamment, à coups de râles tremblants, comme traversés par d’étranges cauchemars. La nuit s’étire dans ce tumulte, entre les cris, les odeurs et la chaleur moite du wagon. Demain, Ürümqi nous attend.
Première nuit chinoise 🖊️💭
Train puant, ventre débordants de nouilles et de cuisses de poulets. Leurs corps saouls allongés souillant les sièges du transport. Les pieds sales qui dépassent sur l’allée à escalader sauf pour les policiers pressés. Ces mêmes policiers qui contrôlent nos passeports à plusieurs reprises pour les photographier inutilement. Lumières jaunes, têtes bronzés illuminés par les écrans bruyants qui sonnent. Ronflements insensés qui résonnent, ils s’endorment insatiables. Minuit passé, ce train de nuit semble une mauvaise idée. Situés proches d’un lavabo, les rots du repas sont remplacés par des crachats raclés au plus profond de la glotte, comme si elle était directement liée à l’estomac. Pour combiner le tout, les portes s’ouvrent et se ferment pour laisser entrer la fumée des cigarettes du coin fumeur.
DÉCOUVERTE D’ÜRÜMQI : ENTRE MODERNITÉ ET INFLUENCES OUÏGHOURES
Ürümqi, capitale de la région, s’étire à perte de vue. Dès les premiers pas, un détail frappe : partout, des hommes et des femmes crachent au sol. On tente de prendre un bus, naviguant entre les paiements aléatoires. Parfois, la transaction échoue, parfois elle passe, signalée par un mot bref et kawaii, lâché par une voix féminine sortie des machines QR.
On finit par rejoindre notre hôte où deux autres Chinois y logent aussi. L’immensité du pays nous saute aux yeux quand on découvre qu’ils viennent de Canton et de Nanning, à des milliers de kilomètres d’ici. Tous réunis sous le même toit, celui de Kiwi, une femme occupée par son travail dans la finance et en plein déménagement. Une seule soirée à partager un repas avec elle, un moment suspendu pour elle dans le tourbillon de son emploi du temps.
Le reste du séjour se façonne au gré des explorations. On arpente la ville, goûtant aux multiples facettes de la cuisine chinoise. Des nouilles par poignées, des plats inconnus au goût inoubliable. On grimpe sur la Colline Rouge pour dominer la ville d’un regard, on se perd dans le plus grand bazar du Xinjiang, Erdaduai, un foisonnement d’odeurs et de saveurs. Parfois en bus, parfois en métro, souvent à pied, on avance, laissant la ville se dévoiler à son propre rythme. Dans les ruelles, on découvre Mixue, une chaîne chinoise qui vend des glaces et des thés à prix défiant toute logique. Quinze centimes d’euro pour une douceur glacée, un plaisir coupable sous le poids du soleil.
Ürümqi est la ville la plus continentale du monde. La mer la plus proche s’étire à 2 500 kilomètres d’ici. À travers ses rues et ses marchés, on entrevoit l’histoire et la complexité de la région. Les Han, en suivant les tracés des voies ferrées, ont peuplé cette terre peu à peu, modifiant le paysage démographique au détriment des Ouïghours, avant que ces derniers ne soient marginalisés, puis exploités.
Le contraste est brutal après des semaines passées à arpenter les steppes d’Asie centrale. Les caméras omniprésentes deviennent presque familières, les commerces diffusent chacun leur bruit ou leur musique pour attirer les chalands, et l’on se sent nu, voire perdu, sans son téléphone.
Entre ces villes tentaculaires et les étendues désertiques gorgées de secrets et de ressources convoitées, nos repères vacillent. Le Xinjiang est un carrefour, une fracture, une énigme.
DE LA ROUTE LIBRE À LA ROUTE SURVEILLÉE : L’ABSURDE CONTRÔLE D’UN VOYAGE EN AUTOSTOP VERS LA MONGOLIE
Après deux nuits paisibles à Ürümqi, nous tentons de poursuivre vers Barköl, mais quitter ces monstres urbains relève du défi. La sortie d’autoroute que nous visons se révèle peu fréquentée, et les rares conducteurs réclament de l’argent. Trois heures d’attente plus tard, nous parvenons enfin à rejoindre Fukang.
Là, des Ouïghours nous accueillent avec chaleur. Ils nous offrent un repas, un échange sincère, une aide précieuse. Grâce à eux, nous atteignons Qitar, où nous plantons notre tente dans un parc en plein centre ville. Ici, contre toute attente, poser son abri où bon nous semble est d’une simplicité déconcertante.
À l’aube, la ville s’éveille sous le claquement des fouets de cuir frappant le sol, brandis avec agilité par des hommes âgés. En cadence, des femmes dansent, bras levés, au son d’une musique entêtante. Nous replions notre campement et marchons pour nous positionner au mieux pour l’autostop.
Un premier véhicule s’arrête. À son bord, des Chinois qui, par réflexe, nous conduisent droit au commissariat, persuadés de nous rendre service. Face au policier, nous expliquons notre incertitude quant au poste-frontière à rejoindre. Il prend nos passeports, nous intime d’attendre. De longues minutes s’égrènent avant qu’il ne revienne avec une décision sans appel : un bus nous est imposé jusqu’à la ville la plus proche. De là, un autre bus pourrait, peut-être, nous rapprocher de la frontière. À force de négociations, nous cédons.
À notre arrivée, notre conducteur, zélé, veut nous remettre directement entre les mains du second bus, sur ordre des policiers. Mais nous avons d’autres plans. Nous faisons du stop, et cette fois, ça fonctionne. Seulement, la route défile sous un flot ininterrompu de camions surchargés. Un doute s’installe. Un groupe d’entraide sur WeChat nous informe : pour les étrangers, le seul passage vers la Mongolie se trouve à Takashiken. Demi-tour forcé.
Nous retournons voir d’autres policiers, omniprésents, leur exposons notre situation. Nos passeports dans leurs mains, ils hésitent, incapables de nous confirmer l’accessibilité du poste-frontière. Avec notre visa de transit, nous ne pouvons prendre le risque de nous tromper. Le choix ne nous appartient plus. Ce sont désormais eux qui nous transportent, ou qui arrêtent des voitures pour nous faire avancer.
La nuit tombe lorsque nous revenons à Jimsar. Déposés au poste de police, nous sommes désormais sous surveillance. Entourés d’une dizaine de policiers, ils contrôlent nos passeports à nouveau. Faire du stop ? Hors de question. Ils nous imposent un hôtel, mais nous refusons de payer une chambre, fidèle à notre mode de voyage. Après d’interminables discussions, ils finissent par céder : nous dormirons sous notre tente.
Au matin, nous reprenons la négociation, conscients que leur consentement est désormais le seul moyen de poursuivre. Après tout, eux aussi sont en faute : leur manque d’informations nous a fait perdre un temps précieux. Mais la liberté ne fait pas partie de l’équation. À chaque mouvement, ils scrutent, questionnent, contrôlent. Lorsque nous évoquons l’envie d’aller déjeuner, ils nous offrent un repas, comme pour nous maintenir sous leur emprise.
Les heures passent. Finalement, ils nous conduisent au centre-ville de Jimsar mais nous abandonnent à une station de taxi. Nous protestons. S’ils insistent pour que nous prenions un bus, soit. Mais il n’y a pas de bus. Quant au taxi, il est hors de question. Nous préférons marcher, faire du stop, suivre notre route comme nous l’entendons.
Ils nous prennent pour des fous à vouloir nous diriger à pied vers le désert. Nous leur opposons des refus répétés. Alors, le voyage bascule. Relais après relais, sur 500 kilomètres, nous sommes transportés, expédiés comme un fardeau encombrant par les policiers. Loin, toujours plus loin, jusqu’à la frontière mongole. Ici, lever le pouce est un luxe interdit, du moins sous leur regard suspicieux. Pas de doutes, nous sommes bien là, en plein cœur de la Chine des Ouïghours, là où les cultures s’effacent sous le poids d’une présence imposée. À chaque changement de voiture, nos passeports sont pris en photos comme pour garder des preuves qu’ils semblent communiquer en temps réel sur une application. De district en district, tour à tour surveillants et bienveillants, nos geôliers improvisés nous offrent nourriture, bières, même une nuit d’hôtel. Une hospitalité qui déroute, un contrôle qui enrobe chaque geste d’une ombre persistante. Leur devoir est clair : maintenir l’ordre, exercer leur emprise tout en affichant un visage aimable, par honneur, par obligation.
À Takashiken, ils nous déposent enfin. Un hôtel nous attend. La frontière n’ouvrira que demain. Une fois déposés au post-frontière le lendemain, les policiers nous proposent une photo souvenir que nous acceptons, naïfs, fatigués, sourire aux lèvres, un drapeau chinois dans les mains. Une image qu’ils garderont pour eux seuls, preuve d’une mission accomplie.