Cappadoce, Turquie. @la.ptite.reporter

20 mois d’autostop de la France à l’Australie : le voyage sans limite de Tessa

Partie seule en autostop pour rejoindre l’Australie depuis la France, Tessa, allias @la.ptite.reporter sur Instagram, a traversé une vingtaine de pays en 20 mois, vivant au rythme des rencontres et des imprévus. De l’hospitalité bouleversante de la Turquie aux défis d’être une femme seule sur la route, elle partage avec sincérité ses galères, ses émerveillements et les leçons tirées d’un voyage qui l’a transformée.


Dans quel état d’esprit es-tu partie ?

Avant de partir, j’avais quelques appréhensions. On me disait souvent : « On n’entend jamais parler de ces pays d’Asie centrale, tu ne sais pas dans quoi tu te lances. » J’avais donc certaines craintes, mais finalement, pas tant que ça. En parallèle, j’ai commencé à échanger avec d’autres voyageurs, notamment Juliette Hamon (@labretonneenstop) qui était partie un mois avant moi. Cela m’a rassurée. De toute façon, c’était mon projet et personne n’aurait pu me faire changer d’avis.

Quel est ton retour d’expérience sur l’autostop ?

Le premier jour, je me suis demandée : « Mais qu’est-ce que je suis en train de faire ? J’ai vraiment l’air débile au milieu de la route. » Je n’avais aucune expérience en autostop, j’avais l’impression d’être complètement perdue. Mais très vite, j’ai trouvé ça assez facile. En Turquie, tout a changé. J’ai rencontré des gens incroyablement chaleureux… Je n’ai jamais bu autant de thé noir de ma vie ! C’est là que j’ai vraiment pris conscience que je voyageais en autostop. Au début, je suivais les recommandations et allais parfois dans les endroits touristiques. Puis, avec le temps, ce qui comptait le plus pour moi, c’était les rencontres. Voir des lieux magnifiques ou populaires m’importait de moins en moins. Ce qui me marquait, c’était les petits villages, les enfants qui me faisaient coucou, les écoles où j’échangeais avec les élèves… C’était ça, le vrai voyage. Avec l’autostop, chaque journée est différente. On ne sait jamais sur qui on va tomber, ce qu’il va se passer. C’est cette part d’inconnu que je trouve fascinante.

Quel était ton itinéraire initial ? L’as-tu adapté au cours de ton voyage ?

Au départ, j’avais planifié mon itinéraire jusqu’à la Turquie, en détaillant surtout la traversée de l’Europe. Je comptais, par exemple, passer par l’Autriche. Mais une fois en Slovénie, après deux heures à faire du stop sans succès, j’ai remarqué que toutes les voitures allaient en Hongrie. J’étais déterminée à suivre mon plan, sans réelle raison. Finalement, je me suis dit : « La prochaine voiture qui s’arrête, j’y vais. » Et c’est comme ça que je me suis retrouvée en Hongrie.

En Géorgie et en Arménie, j’ai longuement hésité entre traverser l’Iran ou la Russie. Après avoir échangé avec d’autres voyageurs, j’ai finalement opté pour la Russie. Mon itinéraire a souvent été dicté par la durée des visas et les contraintes géopolitiques. Par exemple, avec la frontière terrestre de l’Azerbaïdjan fermée, j’aurais aimé rejoindre Aktau en bateau, mais ce n’était pas envisageable.

À l’origine, je voulais aussi traverser le Pakistan, l’Inde et le Népal avant de rejoindre la Thaïlande en bateau. Mais j’ai préféré modifier mon parcours pour retrouver ma sœur au Vietnam. Mon itinéraire a évolué. En arrivant à Almaty, encore, j’ai décidé sur un coup de tête de faire un volontariat. Un jour, l’un des volontaires a suggéré d’aller au Kirghizistan pour renouveler son visa Kazakh. Tout le monde l’a suivi, moi aussi. On s’est retrouvés à skier à Karaköl tous ensemble. J’aime cette liberté de me laisser porter par les opportunités.

Comment as-tu financé ton voyage en autostop ?

Auparavant, j’ai étudié l’hôtellerie-restauration, le management et le marketing. J’ai pu travailler sur l’île de Jersey et en Australie.

Au moment du départ, j’avais environ 4 000 euros de côté. En Australie, j’ai réussi à économiser un peu, mais pas énormément. Finalement, j’ai dépensé environ 5 800 euros en 20 mois, en faisant très attention à mes dépenses. Par exemple, j’aurais adoré faire de la plongée, mais c’était trop cher, donc j’ai renoncé. Mon alimentation n’était pas très variée : souvent du fried rice ou des nouilles.

En Chine, les trajets en train m’ont coûté assez cher, d’autant qu’il faisait très froid. Mais tout dépendait des pays : certaines fois, des habitants m’offraient à manger et m’hébergeaient, ce qui réduisait considérablement mes dépenses. Et quand ma sœur voyageait avec moi, je dépensais un peu plus, forcément. Mon budget initial était de 10 € par jour, puis 5 € en Asie de l’Est quand mes finances ont diminué. Je m’éloignais des endroits touristiques et ne passais en ville que si j’avais un hébergement via Couchsurfing ou BeWelcome.

Comment as-tu découvert l’hébergement chez l’habitant comme l’application Couchsurfing ?

Pendant mon voyage en stop! Ma première nuit en France, à Aix-en-Provence, je ne savais pas où dormir. Il était 21h, j’ai demandé à des passants et j’ai fini par dormir dans une église. Mon premier hôte Couchsurfing était à Turin, en Italie. J’avais bien échangé avec lui, mais j’étais un peu confuse sur ce que je devais apporter et comment me comporter. C’était une toute nouvelle expérience pour moi, je n’étais pas encore à l’aise avec ce mode de voyage.

Quels ont été tes modes d’hébergement ? (Hôtels, tente et hébergement chez l’habitant)

En 20 mois de voyage, j’ai dormi :

  • 7 fois à l’hôtel (essentiellement en Asie de l’Est, où j’avais besoin de calme et d’une douche) ;
  • 6 fois dans des temples ;
  • 36 fois chez l’habitant via les applications ;
  • De nombreuses nuits en tente ou chez des gens qui m’ont invitée spontanément.

Quelles ont été tes expériences en Workaway ?

  • Roumanie : Babysitting dans une communauté hollandaise, entretien d’une maison (1 mois)
  • Turquie : Construction d’une cuisine écologique (3 semaines)
  • Géorgie : Pause dans un centre de retraite de yoga (1 mois)
  • Kazakhstan : Travail dans une auberge à Almaty. 
  • Thaïlande : Auberge recommandée par une amie, faute de budget (deux semaines)
  • Malaisie, dans un hôtel, pour économiser et travailler (3 mois)

J’adore le volontariat : découvrir de nouvelles choses, tester des compétences, rencontrer des voyageurs. Au Kazakhstan, j’ai rencontré des gens avec qui j’ai tout de suite accroché.

Comment as-tu préparé ton voyage, notamment le choix de ton équipement ?

Avant de partir, j’avais lu des blogs et des groupes Facebook pour savoir quoi emporter. J’ai opté pour un sac à dos de 45 litres. J’ai longtemps hésité à prendre une tente. J’en ai pris une, et ça s’est avéré très utile.

Je n’avais pas vraiment planifié mon voyage en dehors du matériel. J’ai pris la route avec mon pouce levé, sans trop prévoir, et j’ai appris au fur et à mesure. Aujourd’hui, je sais que je peux repartir sans grande préparation et que tout ira bien.

Quel a été le pays qui t’a le plus marqué ?

Je dirai la Turquie, c’était comme un autre monde pour moi. Entre les marchés animés, la musique partout, et l’extrême hospitalité des gens, c’était une véritable immersion. Rien à voir avec l’Europe ou l’Australie. C’est aussi là que j’ai fait mon premier volontariat.

As-tu ressenti un choc culturel pendant ton voyage ?

J’ai été marquée par les villages. La façon d’y vivre est très différente : les habitants semblent heureux avec très peu de choses et font preuve d’une incroyable hospitalité. J’ai vu des scènes surprenantes, comme des gens partageant une pièce avec un chien et une poule, ou encore faire du stop avec une chèvre à l’arrière du véhicule. Le rapport aux animaux est différent parfois. À Aktau, en plein centre-ville, un chameau se promenait librement—une image que j’aurais adoré voir en France ! À Batoumi, les vaches traversaient les rues sans prévenir, et les voitures leur cédaient le passage.

As-tu rencontré des galères ?

Voyager réserve également son lot de difficultés. En Chine, l’utilisation des applications mobiles était un véritable casse-tête. En Arménie, je me suis retrouvée bloquée sans moyen de rejoindre mon hôte. Google Maps m’indiquait deux heures de marche alors qu’un réseau de bus était disponible, mais je ne savais pas qu’il existait une application locale spécifique pour les utiliser.

Aussi, le fait d’être une femme faisant de l’autostop dans certains pays n’est pas simple. En Géorgie, j’en avais tellement marre que chaque conducteur me demande si j’avais un petit ami ou me proposait de coucher avec lui, que j’ai fini par préférer prendre des minibus locaux. Ce n’était pas un choc culturel en soi, mais une fatigue accumulée face à ces interactions lourdes et répétitives.

Quelle posture adopter en tant que femme seule faisant de l’autostop ?

Au début, j’avais du mal à m’imposer. Dès ma première expérience en France, le conducteur qui m’avait prise en stop a posé sa main sur ma cuisse. J’ai réagi timidement. Mais au fil du voyage, j’ai compris que seule une réaction ferme fonctionnait. J’ai commencé à hausser le ton, voire à menacer de descendre de la voiture. J’ai aussi pris des précautions : porter une bague pour faire croire que j’étais mariée, montrer une photo avec un ami en prétendant que c’était mon compagnon, dire que je rejoignais quelqu’un, passer un appel, de préférence à un homme, ou écourter le trajet. Mais souvent, cela ne suffisait pas : « Il n’est pas là, il t’a laissée seule, il ne saura jamais… ». C’était particulièrement pesant en Turquie et en Géorgie. En Asie du Sud-Est, notamment au Laos et en Indonésie, les hommes tentaient parfois, mais quand ils voyaient que ça ne fonctionnait pas, ils en rigolaient et passaient à autre chose. En Géorgie, c’était plus insistant : « Regarde, il y a des buissons, on peut coucher ici… Je peux te payer. » Parfois, ils utilisaient Google Traduction pour exprimer leurs intentions. Dès que je voyais apparaître « As-tu un copain ? » sur l’écran, je savais que les ennuis commençaient. C’était triste, car souvent, il n’y avait même pas de préambule de politesse.

Face à ces comportements totalement inappropriés, es-tu arrivée à un moment où tu sélectionnais les conducteurs en stop ?

Avec le temps, mon instinct s’est affûté. J’arrivais à sentir les situations à risque. Un jour, en Géorgie, un vieux monsieur s’arrête pour me prendre. Je ne le sentais pas et j’ai refusé. Il est reparti mais est revenu peu après en insistant. Puis, il a baissé son pantalon pour me montrer ses parties génitales en disant que nous allions coucher ensemble. Heureusement que je n’étais pas montée… C’est dommage d’en arriver à développer un sixième sens pour ce genre de situations. Heureusement, la majorité des rencontres restaient bienveillantes.

Comment gères-tu la fatigue et les doutes ?

Quand j’étais épuisée, j’allais faire du volontariat. Parfois, j’installais ma tente pour m’isoler et me recentrer. Dormir seule en pleine nature était une peur à surmonter, mais après un trek de quatre jours en Géorgie, j’ai enfin réussi. L’autostop et le couchsurfing demandent énormément d’énergie, alors ces pauses étaient nécessaires.

Qu’est-ce qui t’a le plus plu en adoptant ce mode de voyage, le « slow travel » ?

L’absence de limite de temps est un privilège. Je pouvais aller vite ou ralentir, rester plus longtemps chez mes hôtes, explorer des régions reculées, découvrir les modes de vie locaux et leurs différentes manières de penser. 

Poursuis-tu un but en voyageant ?

Mon objectif principal est de rencontrer les habitants des différents pays traversés et de découvrir leurs cultures et traditions. Par exemple, en arrivant à Jember, une petite ville de Java, mon hôte Couchsurfing était guide touristique. Il m’a d’abord proposé des activités classiques comme la plage et les cascades, mais je lui ai demandé quelque chose de plus culturel. Il m’a alors emmené dans une école de danse traditionnelle où j’ai pu essayer leurs habits traditionnels, apprendre quelques pas de danse et partager un moment unique avec eux.

Ce sont ces rencontres qui guident mon voyage. Comme au Kazakhstan, où j’ai eu l’opportunité de parler avec des élèves dans une école pour les encourager à voyager ou à apprendre l’anglais. C’est cet échange avec les populations locales qui m’a poussée à voyager et qui fait que je me laisse souvent porter par les opportunités de rencontres.

Est-ce que l’écologie prend une place importante pour toi en adoptant ce mode de voyage ? 

Au début, je ne faisais presque pas attention à mon impact écologique. J’étais consciente des problèmes environnementaux sans vraiment y réfléchir. Avec le temps, j’ai commencé à chercher des alternatives plus respectueuses de l’environnement et à faire des efforts. En Australie, cela s’avère un peu plus compliqué, car c’est un pays très sédentaire.

Voyager sans avion est devenu une priorité pour moi. Même si je sais que je devrai encore en prendre un, j’essaie de limiter autant que possible mon empreinte carbone. Ce mode de voyage, sans avion, est un véritable bonus. D’ailleurs, l’auto-stop est avant tout une expérience humaine, une manière de découvrir le monde autrement. L’aspect écologique est venu s’ajouter naturellement à cette démarche.

As-tu vécu des moments suspendus pendant ton voyage, où tu étais en pleine conscience du moment présent ?

Oui, au Kazakhstan par exemple. J’avais fait du stop pour aller voir un canyon et un lac, accompagnée d’une personne rencontrée en route. À mon retour à l’hôtel où je faisais du volontariat, cette même personne est venue nous chercher, mes amis et moi, pour nous emmener en montagne. Nous avons grimpé dans la neige jusqu’à une source d’eau chaude en pleine nuit. Il était 1h du matin, le ciel était dégagé et rempli d’étoiles. Ce moment a été une véritable révélation : j’étais en train de vivre une aventure extraordinaire.

J’ai aussi été invitée à plusieurs mariages alors que je ne connaissais personne. Ces moments imprévus et sincères sont ceux qui marquent le plus mon voyage.

Quel a été ton rapport entre ton envie de voyager en autostop et l’avis de tes proches ?

Quand j’ai annoncé mon projet de partir en stop à l’autre bout du monde, mes parents étaient très inquiets. Dès le premier jour, j’ai commencé à documenter mon voyage sur Polarsteps, en publiant des photos et des récits plus romancés. Cela les a rassurés de voir que tout se passait bien. De plus, ayant déjà voyagé plus de trois ans en Australie auparavant, ils savaient que je pouvais me débrouiller.

Quelles étaient tes attentes pour ce voyage ? Qu’as-tu appris ?

Je me demandais souvent qui je serais à la fin de cette aventure. Mais en réalité, j’ai changé en permanence tout au long du voyage.

J’ai passé une semaine et demie dans une communauté hippie, et ce séjour a marqué un tournant dans mon cheminement personnel. J’ai beaucoup travaillé sur moi-même, notamment sur ma capacité à dire « oui » à plus d’opportunités. J’étais plutôt méfiante au départ, surtout par crainte des mauvaises rencontres, mais j’ai appris à faire confiance, à adopter un état d’esprit plus libre, à suivre le vent.

Voyager à mon rythme est devenu essentiel : si je me sentais fatiguée, je m’arrêtais sans culpabiliser. Je voulais éviter toute pression. C’est pour ça que ne pas avoir de limite de temps a été un immense atout. J’ai pu m’écouter, respecter mon corps et mon esprit. C’est sans doute l’un des plus grands apprentissages de ces deux dernières années.

Comment as-tu vécu ta transition vers une vie de sédentaire en Australie ?

Revenir en Australie a été simple grâce à mon réseau d’amis sur place. J’ai trouvé un logement abordable et un emploi rapidement. Cependant, une partie de moi ne pense qu’à repartir. J’ai eu la chance de travailler sur un bateau et d’effectuer quelques navigations, ce qui m’aide à avancer vers mon objectif de traverser les océans un jour.

Comment vis-tu les rencontres avec des voyageurs dont la vision du voyage et les valeurs sont très différentes des tiennes ?

Quand j’essaie d’expliquer ma façon de voyager, j’ai parfois l’impression de paraître arrogante, alors que ce n’est pas du tout mon intention. J’ai du mal à trouver les bons mots pour partager mon approche sans donner l’impression d’imposer ma vision.

Par exemple, lors de mon Workaway à Penang, en Malaisie, je travaillais dans un hôtel où de nombreux voyageurs prenaient l’avion pour rejoindre Langkawi, alors que le trajet en bateau dure cinq heures et demie. Je trouvais ça étonnant, surtout dans un pays qui n’est pas si grand. J’essayais de leur suggérer une autre approche, en leur parlant des rencontres avec les locaux, des alternatives plus immersives… Mais la réponse revenait souvent à la même chose : ils n’avaient que trois semaines de vacances et voulaient optimiser leur temps.

Que leur dire dans ces cas-là ? Peut-être simplement d’essayer de ralentir un peu, de s’immerger davantage dans un pays. Une fois, j’ai rencontré quelqu’un qui avait visité quatre pays en deux semaines. Je ne savais pas quoi répondre. Ce n’est pas le genre de voyageur avec qui j’ai naturellement des affinités, car nous avons peu de choses en commun. Et à chaque fois que j’évoque ce sujet, j’ai peur de donner l’impression de juger. 

Penses-tu que le slow travel pourrait devenir une alternative au tourisme de masse ?

Je pense que oui. Beaucoup s’interrogent sur leur impact environnemental et s’intéressent à des modes de voyage plus responsables. Montrer qu’il est possible de voyager autrement, en prenant le temps de rencontrer les locaux, pourrait inspirer plus de monde.

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