Chemin de Compostelle @Nicolas Zullo en plein pèlerinage, la Coquille de Saint-Jacques dans la main.

 « J’ai trouvé la stabilité dans l’instabilité » : Nicolas, voyageur parcourant l’Europe en sac-à-dos

Sur les routes d’Europe, sac sur le dos et pouce levé, Nicolas a trouvé une forme de liberté dans l’imprévu. De l’Albanie à la Finlande, en passant par les sentiers de Compostelle, il partage son mode de vie itinérant, entre rencontres marquantes, défis du quotidien et philosophie du voyage. À travers son témoignage, il nous entraîne dans un univers où l’instant présent et l’humanité priment sur la routine et le confort.

Comment en es-tu venu à voyager en sac-à-dos et en autostop ? Quelle est ta philosophie du voyage ?

C’est lors d’un wwoofing dans les Açores, chez un apiculteur vivant presque en autarcie que ma passion pour l’itinérance a mûri. J’ai beaucoup randonné, lu, regardé des documentaires et repensé à une rencontre dans le nord de la Norvège : un homme m’avait partagé son aventure sur le chemin de Compostelle alors que je campais au bord d’un lac. Je me suis dit que ce serait une expérience formidable avant le début de la saison : partir de Lisbonne jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle, soit environ 700 km.

Une rencontre en amène une autre, et je me laisse toujours porter ainsi. Je marche beaucoup et fais du stop, c’est le meilleur moyen de créer du lien. Parfois, des conducteurs m’invitent à partager un repas ou à passer la nuit chez eux, ce qui débouche souvent sur des histoires incroyables. En Irlande, par exemple, un Américain de 85 ans, vétéran du Vietnam, m’a pris en stop. Il m’a invité chez lui, et au final, j’y suis resté une semaine. Je l’aidais à cuisiner, à bricoler, et nous sommes toujours en contact aujourd’hui.

J’ai commencé l’auto-stop à 17 ans pour aller au travail en apprentissage. Je pars du principe que 99 % des gens sont bienveillants, et je n’ai eu qu’une seule mauvaise expérience. Ceux de mon âge trouvent le stop génial, mais une fois engagés dans une vie avec un CDI, une maison à rembourser, un enfant, c’est plus compliqué. Je dors principalement en tente et n’utilise pas d’applications, car elles rendent les rencontres moins spontanées. En revanche, j’aime le wwoofing et j’en ai fait énormément, notamment un an en Grèce, mon plus long voyage. J’évite les hôtels autant que possible, sauf dans les grandes villes quand c’est nécessaire, car j’ai un budget serré.

Si l’on est suffisamment téméraire, la liberté est accessible, à condition de ne pas être trop attaché au confort. Dernièrement, j’ai rencontré un Albanais qui m’a proposé de l’accompagner chez lui, puis au Kosovo. A partir de là, j’ai construit le projet Albanie-Finlande, ma dernière aventure. 

Je laisse une grande place à l’improvisation : j’ai mon matériel et une idée générale du trajet, mais c’est l’inattendu qui rend le voyage si beau. Il faut aller le chercher, il ne viendra pas à toi si tu ne bouges pas. Par exemple, j’ai choisi la Finlande pour traverser des pays que je ne connaissais pas, découvrir de nouvelles cultures et rencontrer des gens.

Peux-tu nous raconter ton voyage Albanie-Finlande ?

Ce fut un challenge de deux mois, à pied et en stop seulement, de Tirana à Helsinki. C’était parfois difficile, avec des conditions météo rudes et des moments où le stop ne marchait pas. Mais il faut rester fidèle à ses principes : si tu triches, personne ne le saura, sauf toi. Le mental, comme le corps, se travaille. Plus tu marches, plus tu vis d’expériences, plus ton esprit devient fort. Je m’inspire de voyageurs comme Mike Horn et d’autres aventuriers.

Aujourd’hui, je ne suis plus le même qu’il y a cinq ans. J’ai perdu 10 kilos, appris l’anglais, enrichi ma connaissance du monde et tissé des amitiés partout.

Comment gères-tu tes finances pour voyager ? 

J’essaye de travailler quatre à cinq mois par an, souvent en été, quand tout le monde est en vacances, pour ensuite être libre quand les autres travaillent. L’été dernier, j’ai bossé quatre mois en plonge sur l’île d’Oléron. Ce type de job paye bien et la demande est forte. Sachant la liberté que cela m’apporte ensuite, je suis prêt à tout faire. À la base, j’étais soigneur animalier en CDI à Paris pendant cinq ans. Un jour, j’en ai eu assez et j’ai tout quitté. Cet été, je vais faire les vendanges grâce à un ami. Voyager a un coût, et il faut être utile à la société de temps en temps, c’est donnant-donnant. En trois mois de travail, je gagne assez pour voyager plusieurs mois.

Pourquoi as-tu choisi ce mode de vie, l’itinérance ? 

Plus jeune, j’ai eu des problèmes d’addiction. J’avais un appartement, un CDI, et fréquentais des milieux techno. Entre 18 et 22 ans, je glissais sur une pente dangereuse. Je me sentais prisonnier : loyer, factures, routine. Quand je fermais les yeux, aucun souvenir marquant, juste un quotidien sans saveur. J’avais besoin de créer des souvenirs, d’avoir des histoires à raconter.

J’ai saisi une première opportunité au Portugal pour travailler en centre d’appel. Cela m’a permis de partir, mais la routine m’a vite rattrapé. J’ai quitté l’entreprise, pris mon sac et commencé à voyager en wwoofing. Depuis cinq ans, je suis sur la route.

Je sais que cela ne pourra pas durer indéfiniment, mais j’ai des projets : acheter un terrain sur le chemin de Compostelle pour accueillir des pèlerins. Peut-être dans dix ans. Pour l’instant, je trouve une forme de stabilité dans l’instabilité.

Quel est ton rapport à l’avion? 

J’essaye de prendre l’avion le moins possible. Aujourd’hui, on peut faire Ankara-Hong Kong en 10 heures, alors que Marco Polo l’a fait en 10 ans. Il avait sans doute plus d’histoires à raconter ! Le monde va vite, et j’ai choisi de ralentir : marcher, réfléchir, rencontrer. Malheureusement, qu’on le prenne ou non, l’avion vole. J’évite de culpabiliser et ne juge pas ceux qui en prennent. Chacun a ses contraintes.

As-tu des moments marquants qui te viennent en tête ?

Avant-hier, j’étais dans un village irlandais et j’ai rencontré un prêtre dans un bistrot. On a parlé, fait la fête. Il est rentré à Dublin et m’a rappelé quelques jours plus tard pour m’inviter chez lui. J’y ai passé trois jours. C’est ce qui rend le voyage beau : l’éphémère, l’imprévu, l’humain.

Sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, j’ai commencé mon pèlerinage complètement seul depuis Lisbonne. Mais en arrivant à Saint-Jacques-de-Compostelle, nous étions sept pèlerins, unis comme une famille. Certains, je les avais rencontrés à Porto, d’autres à Quinta. Peu à peu, nous nous sommes rassemblés, comme des frères et sœurs, et à la fin, nous ne pouvions plus nous quitter. Avant de nous séparer, nous avons décidé de louer un bungalow pour célébrer ensemble la fin de notre aventure. Encore aujourd’hui, nous restons en contact et nous avons même prévu de repartir en voyage tous ensemble, car cette expérience nous a profondément marqués.

Ce qui était fascinant, c’était l’aspect international du groupe : nous étions allemands, italiens, français, britanniques… Un véritable melting-pot. Je pourrais vous raconter des moments incroyables pendant des heures !

Par exemple, Mathilde, ma « danseuse pèlerine » – car elle est danseuse – avec qui j’aimerais ouvrir une auberge de jeunesse, je l’ai rencontrée sur le chemin de Saint-Jacques. Mais ce n’est pas un projet immédiat, il faut laisser le temps au temps.

As-tu des galères à nous raconter ?  Tu nous as parlé d’une seule mauvaise expérience ?

Une anecdote marquante s’est passée en stop en Bosnie-Herzégovine, lors de mon voyage entre l’Albanie et la Finlande. J’avais quitté Sarajevo et je me dirigeais vers Belgrade. Pas loin de la frontière, sur une voie rapide, une voiture s’arrête. Je monte rapidement, sans prendre le temps de parler avec le conducteur. Dès que la voiture démarre, je ressens une mauvaise vibe. L’ambiance était étrange. L’homme ne parlait pas un mot d’anglais et, à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, une odeur d’alcool envahissait l’habitacle. J’avais l’impression d’être dans une distillerie écossaise ! En baragouinant un peu de bosniaque, j’ai réussi à lui faire comprendre que je me rendais à Belgrade. Lui, il me répondait dans une langue que je ne comprenais pas, peut-être du russe. Puis, il s’arrête sur le bas-côté et commence à me parler en répétant « dînerons, dîneros », pensant peut-être que j’étais espagnol. Je lui réponds « no, dîneros », lui expliquant que je n’ai pas d’argent. C’est là qu’il devient agressif, me faisant comprendre que si je ne lui donne pas d’argent, il va me frapper, me prendre mes lunettes et mon sac.

Le mec était imposant, bien alcoolisé, et je me suis dit : « Oula, ça sent pas bon, il faut que je sorte de là rapidement. » Heureusement, j’avais mon bâton de marche, que je garde toujours sur moi en randonnée, autant pour marcher que pour éloigner les chiens errants – ou les humains agressifs.

Alors, sans réfléchir, je lui mets un coup de bâton pour le sonner légèrement, j’ouvre la portière et je saute de la voiture avant de partir en courant. Heureusement, sa bagnole était un vieux modèle, il ne pouvait pas verrouiller les portes. Quand il reprend ses esprits, il redémarre et commence à rouler dans ma direction. Par chance, à 200 mètres de là, il y avait une station-service. J’y cours et j’explique la situation au personnel : « Y’a un gars qui m’agresse, appelez la police ! » Finalement, le type s’est barré.

C’est la seule mauvaise expérience que j’ai eue en stop.

Pour le reste, les galères, ce sont surtout les classiques : marcher sous la pluie, galérer à trouver un bon spot pour la tente… En Europe de l’Est, les chiens errants peuvent aussi poser problème. Une fois, je me suis retrouvé encerclé par une meute un peu agressive, mais avec mon bâton, j’ai réussi à les éloigner.

Un autre moment compliqué, c’était dans les Açores. Une nuit, en pleine tempête, ma tente s’est littéralement arrachée du sol. J’avais été un peu con : je l’avais installée sur une falaise, face à l’océan, pour la vue… sauf que j’avais totalement sous-estimé la force des vents. Résultat : je me suis réveillé en pleine nuit avec le poids de la tente effondrée sur moi, trempé jusqu’aux os. Une vraie galère, mais entièrement de ma faute.

Ah, et puis il y a aussi l’histoire des sangliers. Une nuit en Pologne, je sors de ma tente pour pisser et j’allume ma frontale… À 15 mètres de moi, trois sangliers ! Ils ont eu peur de la lumière et ont commencé à charger. Heureusement, ma tente était derrière un arbre mort, ce qui les a empêchés de foncer droit sur moi. J’ai eu une belle frayeur sur le moment, mais aujourd’hui, ça me fait rire.

D’une manière générale, je trouve que le monde est bien plus sûr qu’on ne le pense. Les gens ont tendance à se méfier, mais très rarement quelqu’un veut réellement te faire du mal.

Quel est le pays ou la culture que tu as préféré ?

J’ai un énorme coup de cœur pour la Grèce. La nourriture, la culture, la musique, l’alcool, les paysages… tout y est unique.

J’aime aussi beaucoup le cercle polaire arctique : la Norvège, la Suède… Les aurores boréales, les élans qui surgissent de la forêt avec leur allure fantomatique, la nuit presque permanente en hiver… C’est un autre univers, une expérience hors du commun.

Le Portugal fait aussi partie de mes pays préférés. L’un des pays les plus accueillants que j’ai visités ! Et la France, on n’en parle pas assez, mais c’est un pays incroyable aussi.

Où es-tu parti en dehors de l’Europe ?


J’ai voyagé en Égypte, un pays fascinant, chargé d’histoire et de culture. Au Maroc, l’expérience a été encore plus marquante : mon meilleur ami étant marocain, j’ai eu la chance d’y aller plusieurs fois et de découvrir le pays de l’intérieur, au sein de sa famille. En Tunisie, c’était une toute autre ambiance… Plutôt des vacances classiques de touriste : hôtel, piscine, repas copieux, bronzage. Ça fait du bien aussi, de temps en temps !

Jusqu’à présent, mes voyages se sont concentrés sur l’Europe et l’Afrique du Nord, mais j’aimerais explorer l’Inde, le Népal et les pays en « -stan ». Ces destinations, moins fréquentées, m’attirent particulièrement.

À l’inverse, la Thaïlande, l’Australie ou encore le Costa Rica ne me font pas rêver. Ces pays, pris d’assaut par le tourisme de masse, ne m’attirent pas. J’ai l’impression que l’Australie est devenue un immense terrain de jeu pour les Européens en quête de van life – à tel point que j’ai le sentiment qu’il y a plus d’Européens que d’Australiens en Australie ! À mes yeux, il existe des expériences bien plus authentiques et dépaysantes en Europe que dans ces destinations surfréquentées.

Tu en es où actuellement ?

Hier, j’étais encore en Irlande. J’ai pris l’avion pour Bucarest où j’ai rejoint une amie qui était en Allemagne. On va passer deux semaines en Roumanie à travailler dans un refuge pour chiens, histoire de faire un peu d’argent et de vivre une expérience authentique. Après ça, on part en trip ensemble. Elle n’a jamais voyagé en stop ni à pied, alors elle m’a demandé de l’initier à ce mode de vie. Ça me fait plaisir, surtout que je voyage seul depuis septembre. Bien sûr, je croise du monde en chemin, mais ce sont souvent des rencontres éphémères. Je pense que ça me fera du bien d’avoir une compagne de route pendant deux ou trois mois. Parfois, quand tu marches trop longtemps seul, tes pensées tournent en boucle, tu rumines. Et parler avec quelqu’un, ça permet de mieux organiser ses pensées, ça libère l’esprit.Notre plan, c’est de traverser la Roumanie et de rejoindre la Turquie en stop et à pied, en un mois.

Ensuite, on redescendra en Grèce pour que je puisse revoir mes potes. On restera deux semaines à un mois là-bas, et après, je retrouverai mon petit frère en Sardaigne. Il veut découvrir ce mode de voyage, alors je vais lui montrer. Ensuite, on fera le tour du Mont-Blanc avec des potes. Un des plus beaux treks d’Europe et l’un des plus beaux GR de France. Après le tour du Mont-Blanc, je commencerai à travailler. J’aimerais enchaîner quatre à cinq mois d’affilée pour économiser, puis partir au Népal.

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