Voyager en conscience : malaise face à la promotion involontaire du risque
Alors que le cas du jeune cycliste Lennart Monterlos, probablement arrêté en Iran, bouleverse la communauté des voyageurs. Il interroge sur notre manière de traverser le monde. Entre quête de liberté, prise de risques et mise en scène, une réflexion collective s’impose sur ce qui signifie voyager en conscience et sur les messages que nous diffusions à travers nos récits.
L’arrestation d’un cyclovoyageur qui interroge notre manière de voyager
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai récemment lu les articles concernant Lennart Monterlos, ce jeune cycliste disparu en Iran, probablement arrêté. Au-delà de la tristesse et de l’inquiétude, cette affaire me provoque un vrai malaise. Non pas un jugement sur sa démarche, que je respecte profondément dans ce qu’elle incarne d’engagement et de liberté, mais une série de questions sur notre manière collective de voyager aujourd’hui… et surtout, de raconter nos voyages. En effet, peu avant d’être porté disparu, le jeune homme avait publié une vidéo sur les réseaux sociaux dans laquelle il minimisait ironiquement les recommandations du ministère des Affaires étrangères : « Surtout ne commets pas l’erreur comme moi d’aller voyager en Iran. Écoute les médias, c’est un pays dangereux et ne viens pas en Iran. »
Nous sommes nombreux à valoriser les rencontres, l’authenticité, la traversée des territoires « hors des sentiers battus ». Cette quête d’aventure, d’intensité, de dépassement personnel peut être magnifique. Mais elle n’est jamais neutre. Lorsqu’on décide de traverser une zone déconseillée par le ministère des Affaires étrangères, on prend un risque. Et souvent, ce risque est minimisé, voire romantisé, au nom de la liberté, de l’hospitalité des peuples, ou de l’exception que l’on croit incarner.
Mais est-ce qu’on ne sous-estime pas trop souvent les réalités politiques, les rapports de pouvoir, les tensions locales, simplement parce qu’on est bien reçus, qu’on ne parle pas la langue ou qu’on croit « comprendre » ? Est-ce qu’on ne projette pas beaucoup, depuis notre position de voyageurs occidentaux, une idée un peu idéalisée du monde, et des autres ?
Entre regards occidentaux, mise en scène sur les réseaux sociaux et promotion d’un tourisme extrême
Ce qui me dérange peut-être le plus, c’est la manière dont tout cela est ensuite mis en scène sur les réseaux sociaux. Des récits d’aventure en terrain sensible, partagés sans recul ni mise en contexte, peuvent finir par glorifier l’exposition au danger, comme une performance. Et ce n’est pas toujours conscient : il suffit d’un joli cadrage, d’un texte inspirant et d’un zeste de romantisme. Mais le message implicite est là : « j’y suis allé, c’était intense, incroyable, humain… et je suis passé entre les gouttes ». Cela peut encourager d’autres à faire de même, sans mesurer les conséquences.
Il y a là un vrai glissement : entre la curiosité sincère et une forme de fascination pour le risque, voire pour des réalités sociales et politiques qui ne sont pas les nôtres. Ce malaise, je le ressens aussi face à certaines formes de tourisme – les visites de bidonvilles en Inde, les « safaris urbains » dans des quartiers marginalisés d’Afrique du Sud, ou encore ce nouveau tourisme en Afghanistan qui cible une clientèle chinoise en quête d’adrénaline. On observe, on consomme l’intensité de l’expérience, sans toujours mesurer ce que cela produit localement.
Voyager autrement : entre curiosité sincère et lucidité éthique
Alors je m’interroge. Comment voyager autrement ? Comment partager nos expériences sans promouvoir, même involontairement, une mise en danger de soi ou des autres ? Comment garder cette curiosité, cet esprit d’aventure, sans tomber dans une mise en scène de l’exploit ? Est-il possible de concilier liberté de mouvement et responsabilité collective ?
Je n’ai pas de réponse toute faite. Mais je crois que c’est en posant ces questions, en les partageant, qu’on avance vers une autre manière de voyager : plus lucide, plus humble, et peut-être plus engagée encore.