750 jours sur les routes : Robin atteint la Mongolie en stop et à pied
Après plus de 750 jours de voyage en autostop et à pied, Robin (alias @robinbatard sur Instagram) vient d’atteindre son objectif symbolique : la Mongolie. Parti de France à 28 ans, cet ingénieur-chercheur devenu voyageur au long cours a traversé l’Europe et l’Asie sans jamais prendre l’avion, en choisissant la lenteur comme règle de vie. Aujourd’hui, à 30 ans, il nous accorde une interview alors qu’il vient d’acheter trois chevaux avec son frère, au cœur des steppes mongoles, pour poursuivre son aventure en totale autonomie.
Dans cet échange, Robin revient sur les préparatifs de son départ, son rapport aux réseaux sociaux et à la vulgarisation scientifique, ses motivations profondes pour voyager, mais aussi les moments marquants et les enseignements tirés de ces deux années sur les routes. De l’autostop en Turquie aux hivers extrêmes d’Asie centrale, il partage une vision du voyage sincère, loin des clichés touristiques, où l’itinérance devient un véritable art de vivre.
Où es-tu actuellement dans ton voyage ?
Je suis en train de marcher au milieu des steppes. Je suis avec mon frère, on a été pris en stop il y a quelques minutes. Je suis arrivé en Mongolie depuis une semaine maintenant et mon frère m’a en effet rejoint. Nous avons fait nos courses avant de nous enfoncer dans la nature, et nous visitons des camps de yourtes où l’on achète des chevaux. On est arrivés hier à cet endroit, nous avons négocié dur comme fer et on s’est accordés sur un prix aujourd’hui. On les prend avec de l’équipement, équipement mongol donc pas d’une qualité incroyable. 600 euros par cheval. On en prend trois. On est deux : un chacun, et un qui portera les bagages.
Étiez-vous déjà monté à cheval avant de décider d’explorer la Mongolie de cette façon ?
On voulait éviter d’être les touristes débiles qui se pensent meilleurs que les autres. On voulait éviter les écueils : j’en avais déjà fait en France et j’avais pu faire un trek de quelques jours au Kirghizistan pour avoir les bases (connaître l’équipement, faire des nœuds, seller…). Pour mon frère, je lui avais offert des cours en France. Ses derniers cours remontent à un mois ; les méthodes sont différentes, forcément, mais on continuera d’apprendre en chemin.
Dès le départ, avais-tu choisi la Mongolie comme destination finale ? Et pourquoi ce choix ?
L’idée de partir à cheval n’était pas définie dès le départ mais, en effet, dès le départ j’ai dit : je pars en stop en Mongolie. C’était une destination symbolique, un prétexte, un choix de destination lorsqu’on me demandait où je vais, mais ce qui m’intéressait, c’était de vadrouiller à travers l’Europe et l’Asie. Puis, au fur et à mesure du voyage, ça s’est défini un peu pour le plan cheval.
Pourquoi avoir choisi l’autostop comme mode de voyage ? Et pourquoi cet itinéraire en particulier ?
L’idée de partir est, je pense, une petite graine qui a germé il y a longtemps, je dirais il y a 12 ans. À la base, ça vient juste d’une vanne d’un pote qui me dit : « Ça te dit de faire le tour du monde ? ». Pour lui, c’était vraiment une blague, mais pas pour moi : je me suis dit « pourquoi pas ? ». Je pense avoir été bercé assez jeune en voyant des émissions comme Pékin Express, J’irai dormir chez vous, des formats comme ça qui, même si je ne me le suis jamais avoué quand j’avais 10 – 15 ans, m’ont profondément marqué et donné quelques envies.
J’avais déjà fait un peu d’autostop, et c’est venu un peu naturellement de partir en stop. C’était le mode de voyage qui me tentait le plus. En partant, je ne pensais pas que ça allait être aussi strict. Au final, je l’ai vu comme un défi et comme le moyen d’accéder à la lenteur. Cette règle un peu stricte de dire que je veux tout avoir fait à pied ou en stop.
La première fois que j’ai fait du stop, c’était je crois à 18 ans. Juste parce que j’avais raté un train et je m’étais dit « allez, pourquoi pas ? Moi qui ai vu Pékin Express 15 fois, je vais tenter ». Comme beaucoup, la première fois en stop, c’était surtout un manque d’argent, enfin le côté un peu galérien de se dire « allez, on va se faire un trajet gratuit ». Et puis, il y a eu une deuxième aventure en stop que j’ai faite avec un pote à moi. On est partis lors de notre dernier été d’études, en 2015. Nous étions partis juste 10 jours à travers l’Europe. On avait une boucle hyper ambitieuse. On s’était posé sur Google Maps et on s’était dit « vas-y, on va jusqu’à Bratislava ». Au final, on est allés jusqu’à Budapest. C’était trop marrant mais très ambitieux : on n’était pas dans un voyage lent. On avait avalé les kilomètres, fait plein de rencontres… on s’était régalés !
À ce moment-là, je me suis dit qu’il y a quelque chose de fort dans le stop : la surprise que ça apporte et la spontanéité. Plus personnellement, j’ai tendance à être quelqu’un de pas spontané, qui réfléchit trop quand il faut prendre de grandes décisions. Pour le coup, j’aime bien la spontanéité et la légèreté qu’apporte le stop quand je me déplace.
Ma dernière aventure en stop remontait à 2018, quand j’ai participé avec mon père au Barcelona Express, une compétition qui nous amenés à rallier Paris à Barcelone en 5 jours.
J’avais un attrait pour l’Europe et l’Asie, j’avais une curiosité de connecter ces deux grands continents. J’avais des amis qui étaient partis un mois en Mongolie et qui m’ont raconté leur aventure dans les steppes. Je me suis dit : ces immenses étendues de rien… la Mongolie est le pays le moins dense au monde. Moi qui aime bien les chiffres et les stats, ça me parle. Je m’imaginais en pleine nature à poser ma tente, à me baigner dans la rivière : le voyage qui selon moi serait le plus pur avec la nature. C’est ça qui m’a tenté.
Ça faisait sens aussi avec mon envie de voyager uniquement en autostop. Je me suis dit « ok, je me donne un an ». Je voyais déjà beaucoup de personnes qui, en un an, essayaient de faire un tour du monde. Et j’étais là : « je crois que ça m’a l’air trop ambitieux ». Je me suis alors limité dans mon envie de cocher des cases aussi. Quelque chose qui m’a pas mal travaillé : je me suis dit « limite-toi à l’Europe et l’Asie, dessine une boucle qui t’a l’air intéressante ».
Évidemment, j’ai rajouté, j’ai commencé à faire des zigzags et mon voyage qui devait initialement durer un an… maintenant j’en suis à deux ans, et le projet c’est de voyager encore pendant six mois.
Dans ton itinéraire, tu es passé par Albi. Quel lien as-tu avec cette ville ?
J’ai longtemps vécu à Albi. J’aimais beaucoup cette ville. J’ai fait deux années de classe préparatoire à Nantes, puis trois école d’ingénieur à IMT Mines Albi, dans le réseau Mines-Télécom. J’avais d’ailleurs fait quelques compétitions d’autostop par l’intermédiaire de mon école. Puis j’ai fait trois ans de thèse entre Paris et Albi, mêlant sciences sociales et informatiques pour le domaine de la gestion de crise. À la suite de ça, j’ai été embauché comme chercheur dans ce domaine toujours à Albi. Toute ma vie était installée à Albi avant mon départ.
Avant de partir, je suis allé les voir, à la mairie, en disant que je me lance dans cette grande aventure, est-ce que ça vous intéresse de faire quelque chose ensemble ? Connecter Albi à Oulan-Bator, parler d’Albi une fois de temps en temps. Eux, ils ont accueilli ça positivement. Il n’y a eu aucun échange financier. Ils m’ont donné au départ le t-shirt d’Albi et très vite, j’ai un peu coupé court au truc. J’avais fait un beau mail avec plein de détails sur mon premier mois d’aventure, et le gars m’avait répondu : « c’est très bien mais on ne voit nulle part le t-shirt d’Albi ». Ils voulaient que je prenne une photo avec tous les conducteurs qui me prenaient en stop avec le t-shirt d’Albi. J’ai vite arrêté.
Ton voyage suivait-il un fil conducteur ? Si oui, peux-tu nous dire si tu as réussi à t’y tenir ?
Globalement, je dirais oui, parce que j’ai suivi mon fil conducteur qui était la Route de la soie, même si j’ai fait quelques détours. J’ai vraiment l’impression d’être resté fidèle à ce projet : le point de départ, le point d’arrivée et la grande ligne de l’itinéraire sont les mêmes. En revanche, ce qui a changé, c’est que je me suis accroché au voyage lent. Je crois même que j’en suis un peu tombé amoureux. Ça arrive presque naturellement quand on voyage longtemps : on se rend compte qu’on ne peut pas changer de lieu chaque jour, toujours bouger, toujours repartir.
J’ai découvert que je me plaisais énormément dans ce rythme-là : j’arrive à gérer mon budget, je m’amuse, donc je me suis dit… pourquoi ne pas prolonger ? Ça m’a permis de faire plus de détours, notamment en Asie centrale. C’était un vrai casse-tête de savoir quand y aller : entre la Géorgie, l’Arménie et l’Asie centrale, je me demandais où passer l’hiver. Parce que quand on voyage en itinérance, on commence à vraiment faire attention aux saisons.
Au final, j’ai fait ce qui me faisait peur au départ : j’ai passé tout l’hiver en Asie centrale. Quand je suis arrivé au Kazakhstan, en septembre, beaucoup de gens rencontrés en autostop m’ont dit : « Descends vite en Ouzbékistan, là-bas il fait bon, t’inquiète ! » Finalement je me suis dit : « Allez, je tente. » Et je ne voulais surtout pas passer à côté de cette région, qui pour moi symbolise un peu la Route de la soie. J’avais remarqué que beaucoup de voyageurs traversaient assez vite : deux semaines, un mois, parfois deux, et c’était fini. Moi, j’avais envie de prendre mon temps, et peut-être que ça dit quelque chose de ma personnalité : j’aime bien ne pas faire comme les autres. Par exemple, tout le monde passait par le sud du Kazakhstan, moi je me suis dit : « Allez, je prends le nord. » Résultat : j’ai passé tout l’hiver là-bas. Ça m’a valu des moments difficiles, de grand froid, de neige, parfois extrêmes… mais aussi des moments incroyables. Je ne regrette rien, au contraire, j’en suis très heureux.
C’était un peu pareil avec la Chine. Au départ, ce n’était pas un pays qui m’attirait, je n’étais pas dans une phase de ma vie où la Chine m’intriguait. Et puis, plus j’avançais, plus je me suis dit : « Essaie de donner du temps. » J’avais fait un visa de trois mois, finalement je n’y suis resté « que » deux, mais je suis content de l’avoir vécue ainsi, à mon rythme.
J’ai aussi changé mon rapport aux pays traversés. Je n’aime plus les compter. Beaucoup de gens posent toujours cette question : « Combien de pays tu as faits ? » C’est une phrase qui me gêne. Bien sûr, avec Polarsteps, je sais à peu près (il doit y en avoir une petite vingtaine) mais je n’aime pas mettre ça en avant, surtout pas sur les réseaux sociaux. Je ne veux pas encourager les gens à voyager pour accumuler des drapeaux. Ce n’est pas le sens que je donne à mon aventure.
Quelles étaient tes motivations pour entreprendre ce voyage ? Ont-elles évolué ?
Globalement, mes raisons de voyager n’ont pas vraiment changé. Ce que je dis souvent, c’est que je voyage pour profiter. Il y a aussi, derrière, la peur de regretter plus tard. Un jour, il y a longtemps, j’ai eu cette prise de conscience : je vais probablement passer 80 ans sur cette planète. Alors est-ce que j’ai envie de consacrer 8 heures par jour à enrichir une entreprise que je ne connais pas, ou à laquelle je n’ai pas vraiment de lien ? Ça peut sembler marginal comme réflexion, mais pour moi c’est quelque chose de très profond. J’ai envie de voir le monde, d’en profiter pleinement. Et ça correspond toujours à ce que je disais déjà il y a deux ans.
Plus personnellement, j’ai découvert quelque chose au fil de ce voyage. Avant de partir, j’étais en couple depuis sept ans et demi. Et peu de temps avant mon départ, nous nous sommes séparés. Du coup, le voyage a eu aussi cette dimension-là : une forme de reconstruction. Au début, je ne me le disais pas clairement, mais c’était une manière de retrouver confiance, de réaccepter ma valeur, notamment au sujet des relations amoureuses. Retrouver la conviction que je pouvais être aimé, et accepter d’être aimé. J’avais un peu perdu ça dans ma relation précédente. Le voyage m’a apporté de la légèreté. La possibilité de rencontrer des personnes, parfois juste pour quelques jours ou une semaine, et d’accepter que ce soit bien comme ça.
Comment as-tu organisé ton départ pour ce voyage ?
C’était à la fin d’un CDD. Après avoir fait ma thèse et travaillé dans un laboratoire de recherche dans le domaine de la gestion de crise, j’ai décidé de quitter ce boulot pour voyager. Je fonctionnais uniquement avec des CDD et ça me convenait bien, parce que l’idée d’un CDI m’angoissait un peu, j’avais peur que ça m’enferme dans une situation professionnelle trop figée. J’avais ce voyage en tête depuis longtemps. Au départ, ce n’était qu’une blague entre moi et mon meilleur ami. Mais au fil des années, on en a reparlé et on s’est dit qu’on partirait ensemble.
J’ai accepté plusieurs CDD en attendant qu’il termine sa thèse. Sauf qu’à la fin, il a eu une opportunité d’embauche. Et là, je me suis rendu compte qu’on n’arriverait jamais à aligner nos emplois du temps. C’est ce moment qui a marqué un tournant : le voyage prenait de plus en plus de place dans ma tête, il devenait important pour moi. En plus, la dernière mission que j’avais acceptée ne m’amusait plus : je l’avais prise uniquement pour patienter. Alors je me suis dit : « À la fin de ce contrat, c’est le moment parfait pour partir. »
J’ai dit à mon pote : « Quoi qu’il arrive, en juin prochain, je pars. Mon CDD se termine en avril, donc j’ai une fenêtre. Si tu veux venir, ce serait génial, mais sinon j’irai seul. » Finalement, il n’est pas venu… et je suis très content d’avoir vécu cette aventure en solo. J’ai terminé mon contrat, déménagé, stocké mes affaires chez mes parents et préparé le départ en un mois et demi.
Le vrai déclic, ça a été en janvier 2023, quand je suis allé à l’hôpital d’Albi pour mes premiers vaccins. Là, j’ai eu le sentiment concret de m’engager : je me préparais physiquement, je me disais « Ça y est, je vais vraiment le faire. » Au Nouvel An 2023, j’en parlais déjà à tous mes amis, comme un engagement officiel.
En parallèle, il y a eu ma séparation avec mon ex-compagne. Ça faisait longtemps que notre relation s’essoufflait, mais le fait que je m’affirme vraiment, que je dise clairement « Je veux faire ce voyage », ça a fini par provoquer notre rupture. Et finalement, je pense que c’était une bonne chose pour nous deux.
D’un point de vue financier, j’ai choisi de n’utiliser que mes propres économies. Ça me tenait à cœur. Pour moi, ce voyage avait quelque chose d’égoïste : partir seul, laisser ma famille et mes amis derrière. Je voulais donc assumer aussi la responsabilité financière. Ce qui est parfois difficile, c’est l’image que les gens ont : quand ils voient que tu voyages depuis un an, deux ans, ils s’imaginent que tes parents ou le gouvernement te financent. Mais non : ce n’est que mes économies, et surtout ma manière de voyager en low budget.
Au départ, quand on préparait ça avec mon ami, on avait fixé symboliquement un budget de 1000 € par mois, chacun. Mais en planifiant seul, j’ai réalisé que je n’allais pas prendre l’avion, que je ne voyagerais pas en auberges… et donc que je pouvais réduire largement. Je suis passé à 500 €, puis à partir de la Turquie, je me suis fixé 300 € par mois, soit environ 10 € par jour. Bien sûr, je fais des écarts de temps en temps, mais globalement j’arrive à m’y tenir. Aujourd’hui, après deux ans de voyage, j’en suis à environ 10 000 € de dépenses au total.
Quel équipement as-tu emporté pour ce voyage ?
Je voulais voyager de manière minimaliste. J’avais déjà un peu pratiqué la randonnée, donc j’avais du matériel léger : sac de couchage, matelas. Mes parents m’avaient offert ma tente en cadeau de thèse, et je me suis dit : « Avec ça, j’ai déjà le strict minimum. »
J’ai choisi de partir sans réchaud, et je ne regrette pas du tout. On a souvent l’impression, avant de partir, qu’on va se retrouver en pleine jungle, complètement déconnecté de la société. Mais en réalité, on traverse des villes, des villages, on trouve toujours à manger. Beaucoup de gens ne sont pas préparés à ça et pensent qu’il faut tout prévoir. Moi, ça m’a rassuré de voyager léger.
Au départ, mon sac faisait 15–16 kilos, ce qui me semblait suffisant. Et puis, au fil du temps, certaines choses se sont ajoutées, d’autres enlevées. C’est un équilibre qui s’est construit en route.
Quel est ton rapport aux réseaux sociaux pendant ton voyage ?
Mon rapport aux réseaux sociaux s’est construit au fur et à mesure du voyage. J’ai assez vite pris conscience que je n’avais pas envie d’encourager les gens à voyager, parce qu’il y a déjà énormément de contenu qui pousse à ça sur les réseaux. Et puis, sans vouloir paraître condescendant, beaucoup de personnes voyagent en copiant ce qu’elles voient en ligne : elles prennent l’avion, vont faire une photo, et se contentent de “consommer” un lieu. Moi, je ne voulais pas contribuer à cette logique-là.
Du coup, je me suis tourné vers une de mes passions : le théâtre. Avant de partir, je faisais partie d’une troupe de vulgarisation scientifique à Toulouse, qui mélange théâtre et science (le Science Comedy Show @sciencecomedyshow sur instagram). On essaye de rendre la science drôle, accessible, de casser un peu les clichés. J’y ai joué pendant deux ans. Et quand on a parlé de mon voyage, le metteur en scène m’a dit : « On a un compte Insta, si ton voyage t’inspire quelque chose autour de la science et du théâtre, fais-toi plaisir, tu as carte blanche. »
Je me suis dit que c’était une belle opportunité : parler de voyage sans forcément mettre en avant des destinations. C’est comme ça qu’est née l’idée de « La science en stop ». Mais ça m’a pris énormément de temps : la rigueur scientifique fait que j’écris longtemps, le tournage et le montage demandent aussi beaucoup d’énergie… et en voyage, on n’a pas toujours le temps. C’était un vrai plaisir, mais je n’ai pas eu la régularité nécessaire pour que ça prenne de l’ampleur sur les réseaux. Et puis mes formats étaient souvent trop longs pour devenir viraux sur Instagram.
Je sais que beaucoup de gens en voyage se posent les mêmes questions avec les réseaux. Certains me disent souvent : « Avec ton voyage, tu pourrais gagner de l’argent sur Insta, TikTok, etc. » Mais ce n’est pas mon objectif. Je suis à l’aise sur scène ou devant une caméra, j’aime parler, partager, mais le monde des réseaux sociaux impose de déformer son contenu pour “faire du clic”. Et ça, ça me gêne.
En même temps, quand je passe trois jours à écrire, tourner et monter une vidéo, à la fin j’en suis fier. Alors forcément, j’ai envie qu’elle soit vue par des milliers de gens. Mais je n’ai ni le format ni la quantité de publications nécessaires pour atteindre cette visibilité-là. Du coup, je reste toujours un peu tiraillé : entre créer des vidéos qui me plaisent vraiment, mais qui touchent un public restreint… ou faire du contenu calibré pour les réseaux, qui ne me correspond pas.
On voit de plus en plus de voyageurs en autostop se filmer et partager leurs aventures sur les réseaux (@labretonneenstop, @lemonde_de_cav, @poucepour1, @papamamantoutvabien…). Qu’est-ce que tu penses de cette tendance ?
Globalement, mettre en avant l’autostop, je trouve ça super. Ça apporte un regard différent sur le voyage. Si ça peut donner envie à des gens de tenter l’expérience, de retrouver un peu cette magie – aller vers les autres, arrêter d’avoir peur, accorder davantage sa confiance – je pense que c’est une très bonne chose.
J’aime bien l’énergie un peu illuminée, joyeuse de @lemonde_de_cav. Je sais qu’il bosse énormément, et son succès sur les réseaux est largement mérité.
J’ai aussi passé un mois avec Camille (@adventurewcam sur instagram). Au début, elle publiait tout en anglais, mais maintenant qu’elle est rentrée en France, elle fait ses contenus en français. On a vraiment bien sympathisé. Elle aussi, c’est une machine de travail. Elle a fait l’Indonésie–France en autostop ! Pour avoir partagé un mois avec elle, je peux dire que son succès est totalement justifié : elle a vraiment compris le jeu des réseaux, et ça marche. Bravo à elle. Donc oui, je suis plutôt admiratif du contenu lié à l’autostop.
À l’inverse, il y a beaucoup de créateurs et créatrices de voyage pour lesquels je n’ai pas du tout le même regard. Juste poster des destinations, personnellement, ça me saoule un peu. Ce n’est pas le type de contenu qui m’attire. J’y vois parfois une incitation à la consommation, qui à mes yeux fait perdre un peu la beauté du voyage.
Tu partages tes aventures sur différents supports : Instagram, Polarsteps, mais aussi un blog. Est-ce que tu t’adresses au même public ? Et qu’est-ce que ça change pour toi ?
Pour moi, ce sont des publics et des temporalités différentes. Ce que j’arrive à maintenir en temps réel, ce sont les stories sur Instagram. Polarsteps, au début, je tenais bien le rythme. Mais j’ai perdu beaucoup de photos et de vidéos, et ça m’a franchement déprimé. Du coup, j’ai pris un énorme retard ; un an aujourd’hui. Malgré ça, je sais que je vais continuer. J’ai une quantité de notes sur mon téléphone, et je finirai par les remettre en ordre. Polarsteps, pour moi, c’est le plus authentique : c’est là que je raconte en détail mon quotidien, ce que je vis jour après jour. Sur Instagram, je filtre davantage : je choisis ce qui me fait rire, ce qui me plaît, parfois de belles images ou des choses plus poétiques. Polarsteps, c’est plus pour les proches, les amis, ou les curieux qui veulent rentrer dans le détail de mes aventures.
Le blog, c’était plus anecdotique, à l’origine sur les conseils d’une amie qui trouvait frustrant de ne pas pouvoir écrire davantage sur Instagram. Je me suis dit que ce serait un espace pour des textes plus longs. Mais en deux ans, j’ai publié seulement une dizaine d’articles, même si j’ai une trentaine de brouillons sur mon téléphone. C’est mon perfectionnisme qui bloque un peu. Je sais que ça me servira plus tard : j’ai même l’idée d’écrire un livre à mon retour. Par contre, publier sur WordPress… quelle galère ! Je ne savais pas que ce serait si lourd. Franchement, ça ne me donne pas envie d’y écrire.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux influencent énormément la manière de voyager : choix de la destination, durée du séjour, expériences à vivre… Est-ce que toi aussi tu sens cette influence ? Et comment tu te positionnes par rapport à ça ?
Franchement, c’est un truc qui me déprime un peu. Je n’ai pas les chiffres exacts, mais je sais qu’il existe des études qui montrent que les réseaux sociaux ont un impact énorme sur les choix de destinations. Et c’est pour ça que j’ai décidé d’arrêter de mettre en avant des lieux précis. Je le fais encore un peu dans mes stories, quand je suis vraiment fier d’une photo, mais j’ai arrêté dans mes posts. Au début, je publiais beaucoup mes plus belles images d’une ville ou d’un endroit. Puis j’ai choisi de ne plus le faire. C’est aussi la ligne éditoriale qu’on a choisie avec L’Alibi, une communauté d’entraide entre voyageuses et voyageurs éthiques et bas carbone dont je fais partie (@alibi.voyages sur instagram). On s’est vraiment dit, notre compte Instagram, on ne veut pas mettre en avant des destinations. Parce que c’est déjà beaucoup trop fait, et ça ne correspond pas à ce qu’on veut transmettre. Par exemple, un format que je déteste, c’est les fameux « 10 choses à faire absolument ». Je trouve que ça sonne presque comme une injonction : si tu ne fais pas ça, tu rates ton voyage, tu n’es pas à la hauteur. Même moi, qui essaie de m’en détacher, je ressens cette pression. En Grèce, typiquement, je savais que la plupart des voyageurs vont voir les Météores. Et je me suis dit : « Je ne peux pas aller en Grèce sans y aller ». Au final, j’y suis allé, et je ne regrette pas parce que c’est magnifique. Mais ce mécanisme, cette idée de « il faut absolument », ça m’horripile.
Sur les réseaux sociaux, on parle souvent de la responsabilité des influenceurs. Quelle est ta position là-dessus ?
Ça rejoint un peu ma position avec L’Alibi. J’ai la volonté de voyager de la manière la plus éthique et écologique possible : éviter l’avion, limiter l’impact, etc. Mais je ne me considère pas comme un militant. Sur Instagram, je n’aborde presque jamais ces sujets frontalement. Mon but, c’est plutôt de montrer qu’une aventure peut être belle sans prendre l’avion, sans avoir besoin de cocher des cases, et qu’on peut en être fier malgré tout.
Avec L’Alibi, on a souvent débattu de la ligne éditoriale. Sur certains points, on est tranchés comme sur le fait de dire « ne prenez pas l’avion ». Mais j’ai souvent eu peur de perdre une partie du public. Parce qu’il y a des personnes pour qui, si on leur dit directement « ne prends pas l’avion », c’est fini : elles ne suivront jamais le compte. Je pense qu’il y a différentes manières de parler à différents publics.
Un exemple a récemment fait débat dans le groupe : un compte d’influenceurs qui se glorifient avec un réel tape-à-l’oeil, à ramasser des déchets sur des plages à l’autre bout du monde qu’ils rejoignent en avion. Comme tout le monde sur le coup ça me fait tiquer mais je me dis : peut-être qu’au moins, ça touchera des gens qui n’auraient pas été interpellés autrement. Donc quelque part, même maladroitement, ça peut avoir un effet positif. C’est comme avec la vulgarisation scientifique : il y a du contenu très pointu mais peu sexy, et du contenu parfois imprécis et plus accrocheur, mais qui a le mérite de sensibiliser une cible différente.
En tout état de cause, je pense vraiment que les influenceurs ont un rôle énorme. C’est un monde que je connais finalement assez peu, celui de l’influence voyage. Même les gros comptes d’autostop que vous avez cités, ça reste mineur comparé à la masse de personnes qui s’affichent dans l’avion, en tour organisé ou sur le dos d’un éléphant… Malheureusement, ce sont eux qui ont la visibilité, et ça, c’est très triste.
Et il y a un autre aspect à prendre en compte : le côté social. Beaucoup de gens n’ont que peu de temps pour voyager, ils travaillent, mettent de l’argent de côté, et se disent « moi aussi j’ai envie de profiter ». Alors ils prennent un billet pas cher pour Bali une semaine. On peut difficilement leur en vouloir. C’est aussi ça qu’il faut comprendre quand on parle à différents publics : les motivations et les réalités sociales ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
Comment as-tu découvert la communauté L’Alibi ? On te voit assez investi sur la page Instagram, qu’est-ce que ça t’apporte dans ta façon de voyager ?
Je l’ai découverte grâce à une fille, Alicia, qui me suivait sur Instagram au début de mon voyage. Elle m’a écrit pour me dire : « Il y a un groupe sur WhatsApp (à l’époque, c’était au tout début de l’Alibi), ça te dirait de le rejoindre ? On parle de voyage bas carbone, de voyage lent. » J’ai répondu « oui, pourquoi pas ».
Le groupe a ensuite migré sur Facebook, et j’ai trouvé cette communauté vraiment intéressante. À un moment où j’étais seul dans mes réflexions sur le voyage, ça m’a apporté un vrai écho. J’ai commencé à discuter avec des gens, à partager mes idées, mes doutes. J’étais souvent seul, dans ma tente ou dans des endroits isolés, et ça m’a permis de me sentir connecté. Au final, je me suis fait des sortes « d’amis », alors que je ne les ai jamais rencontrés en vrai. C’est étrange, je n’aurais pas pensé construire ce type de lien à partir d’un groupe Facebook. Mais c’est vraiment un espace pour partager des réflexions, des questions, des expériences.
Quand la question du compte Instagram Alibi est arrivée, je me suis dit que je pouvais y apporter quelque chose. Je m’intéresse beaucoup aux questions de communication, je viens du théâtre, j’ai fait de la vulgarisation scientifique, j’aime le design graphique… Donc je me suis dit : « Ok, peut-être que je peux contribuer là-dessus ».
Pour la ligne éditoriale, j’ai voulu insister sur le fait de ne pas être trop frontale dans la communication. L’idée, c’est de montrer d’autres manières de voyager, et j’espère que ça peut inspirer les gens, plutôt que de donner des leçons.
Pendant ton voyage, tu as réalisé pas mal d’expériences en tant que bénévole ou volontaire. Comment ces opportunités se sont-elles présentées à toi ?
Il y a un peu des deux. Parfois, je me disais juste : « Tiens, j’ai envie de me paumer deux semaines dans une ferme. » D’autres fois, ça s’est présenté de façon complètement spontanée. Par exemple, au Monténégro, c’était via Couchsurfing : un gars disait qu’il vivait dans une ferme et qu’il avait besoin d’aide, trois ou quatre heures par jour. Je me suis dit : « Ok, c’est une sorte de Workaway. »
J’ai eu ce genre d’expérience deux fois : une fois via Couchsurfing et une autre via Trustroots, une alternative gratuite à Couchsurfing. J’ai aussi fait un volontariat dans une auberge de jeunesse au Kosovo, en passant spontanément, en frappant à la porte de l’auberge, et je suis resté trois semaines.
Sarajevo m’a beaucoup marqué. C’est là qu’une succession de hasards incroyables m’a amené là-bas : un conducteur m’a conseillé de me rendre dans un petit village où je me suis arrêté. En frappant aux portes pour trouver un hébergement, j’ai rencontré un architecte qui m’a dit : « Demain, je vais à Sarajevo, j’organise un festival. » Je lui ai demandé : « Est-ce que tu as besoin d’aide ? » Et voilà, je me suis retrouvé dans l’équipe d’organisation du festival. Je suis resté trois semaines à Sarajevo à organiser et animer le festival. Tout ça, c’est vraiment le hasard et l’état d’esprit de l’autostop.
Par la suite, il y a eu d’autres expériences un peu plus organisées via Workaway. En Macédoine du Nord, j’ai donné des cours de français dans une famille. Ce n’a pas été ma meilleure expérience : enseigner à des enfants qui n’ont pas envie d’apprendre, ce n’est jamais facile, surtout quand on a déjà été enseignant en université. Au Kazakhstan, j’ai participé à l’installation de jeux sur les pistes de ski au sud d’Almaty. Au Kirghizistan, j’ai trouvé une auberge de jeunesse incroyable où je faisais le ménage.
Quand je fais du Workaway, honnêtement, la première raison, c’est le besoin de se poser un moment, de prendre une pause. La seconde, c’est le plaisir de découvrir de nouvelles activités : travailler dans une ferme, une auberge, participer à un festival… Ces derniers temps, c’est surtout le plaisir d’avoir un endroit calme où je peux me poser, réfléchir et replanifier la suite de mon voyage.
Tu as pu mentionner au début de ton voyage que tu avais passé tes 100 premières nuits majoritairement à l’extérieur, comment t’es-tu organisé pour te loger ?
Pour l’anecdote, je tiens même un tableau Excel avec toutes les nuits du voyage, juste pour avoir une idée des chiffres. Globalement, j’ai tenu le rythme.
Après la Turquie, il y a eu moins de porte-à-porte, parce que les hébergements spontanés chez l’habitant devenaient beaucoup plus simples : souvent, mon conducteur me proposait de dormir chez lui, ou je rencontrais quelqu’un qui me demandait « Tu vas où ? » et ça finissait par déboucher sur un logement. Mais dans tous les pays, je me suis quand même forcé à chercher des hébergements spontanés. C’était un peu un jeu pour moi, un truc qui me faisait marrer à l’instar des émissions comme « J’irai dormir chez vous » ou « Nus et culottés ».
Sinon, je me considère un peu comme un « ovni » : je connais peu de gens qui poussent l’expérience aussi loin, en dormant dans des lieux improbables. En ville, par exemple, j’adore explorer les toits pour y installer ma bâche ou mon sac de couchage quand il ne pleut pas. S’il pleut, je monte ma tente en haut d’un immeuble de 15 étages, au milieu de la ville. Beaucoup de gens me demanderaient : « Mais qu’est-ce que tu fais ? » Pour moi, ça revient à créer ma petite bulle de confort dans un endroit hostile. Je me sens souvent plus à l’aise en haut d’un immeuble qu’en bas, dans un parc public, où il peut y avoir un peu plus de risques, des gens bourrés, etc. Ces expériences m’apportent vraiment une liberté et un sentiment d’autonomie que je ne trouve pas ailleurs.
Comment t’est venue, pour la première fois, l’idée de dormir dans des endroits insolites comme ça ?
Bonne question… je ne saurais pas exactement dire comment ça a commencé. Avant le voyage, j’aimais beaucoup l’urbex, l’exploration urbaine. J’adorais repérer des lieux abandonnés et les explorer, même si je n’y passais jamais la nuit. À Paris, par exemple, il y a une grande partie des catacombes interdites au public. Il y a beaucoup de cataphiles qui s’y aventurent, et j’en fais partie, à une moindre échelle. J’ai passé des nuits entières à explorer ces dédales. Tous ces lieux alternatifs m’ont toujours fasciné.
J’aime bien me créer du confort et me sentir à l’aise dans des environnements qui, a priori, ne le sont pas. J’ai ce petit plaisir de ne pas avoir peur, de pousser une porte et de voir où ça me mène. Je ne saurais plus dire quelle a été ma toute première expérience. J’ai aussi poussé l’expérience en dormant dans d’autres lieux insolites abandonnés : des châteaux ou des hôtels, un train, un avion, un bateau…
As-tu déjà fait une mauvaise rencontre ? Ou qu’on te demande simplement de partir ?
Je dirais que dans 95 % des cas, tout se passe bien. Quelques fois, il m’est arrivé d’avoir des déconvenues, notamment sur des bâtiments en chantier. Il y a une petite logique à suivre : par exemple, si le lendemain c’est dimanche, en général ça passe. Une fois, les ouvriers du chantier sont venus me voir. Ce qui m’importe le plus, c’est de ne pas faire peur aux gens. Mais la plupart du temps, ça se passe plutôt bien. Par exemple, en Turquie, les ouvriers m’ont invité à boire le thé. Au final, tu partages un bon moment, tu bois ton thé et ensuite tu pars. Ils comprennent un peu le truc, ils voient que tu es un vagabond. J’essaie toujours de ne rien avoir de valeur sur moi et de paraître le plus neutre possible. En fait, j’ai eu presque plus de galères à installer ma tente dans des parcs. Par exemple, en Grèce, la police est venue me demander de partir. Mais dans l’ensemble, ce sont des situations assez rares et généralement elles se résolvent facilement.
Qu’est-ce qui détermine le temps que tu passes dans un pays ?
Pour moi, ce sont surtout les rencontres. C’est vraiment ce qui guide mon voyage. Par exemple, en Bosnie, je ne connaissais quasiment rien du pays, mais la rencontre avec toute l’équipe d’architectes à Sarajevo m’a vraiment marqué et donné envie de rester plus longtemps.
Il y a aussi la facilité de rester dans un endroit. À Sarajevo, une membre du festival d’architecture m’a dit : « J’ai un appartement de libre, tu peux y rester autant que tu veux, il est à toi, tu ne paies rien, de toute façon tu nous aides pour le festival. » Pour moi, c’est un vrai confort, tout comme dans mes expériences de volontariat. Au Kosovo, j’ai passé trois semaines dans une auberge, et ce type de confort me pousse naturellement à prolonger mon séjour. Par exemple, l’été dernier dans le Caucase, des successions de rencontres ont guidé mes pas et m’ont fait faire de nombreux allers-retours entre la Géorgie et l’Arménie, où j’ai tissé de nombreuses amitiés.
Un autre critère important, ce sont les lieux eux-mêmes. J’ai passé un mois à Istanbul, où je bénéficiais du confort d’un hôte chez qui je suis resté longtemps. Je suis un peu tombé amoureux de cette ville qui m’intriguait beaucoup.
Comment abordes‑tu les pays que tu visites ? Te sens‑tu surpris ou étonné par rapport à ce que tu savais avant d’y arriver ?
J’adore arriver presque naïvement dans un pays. Je lis très peu les blogs et je me renseigne assez peu à l’avance. Par contre, je profite des trajets en stop pour poser plein de questions et découvrir les lieux par les rencontres.
Certains pays m’ont moins surpris, comme plusieurs pays d’Asie centrale : le Kazakhstan, le Kirghizistan ou l’Ouzbékistan. Je m’attendais déjà à voir certaines architectures incroyables (Khiva, Samarcande, Boukhara) grâce aux photos Instagram ou aux blogs de voyageurs. Les cultures sont assez proches entre ces pays, donc les surprises sont moins fréquentes, même si passer du temps avec les habitants reste toujours enrichissant.
À l’inverse, certains pays m’ont totalement émerveillé, comme l’Arménie. Je ne connaissais rien de ce pays, et ce sont les rencontres qui m’ont marqué. J’ai passé beaucoup de temps avec des Russes là-bas, ce qui m’a permis de mieux comprendre certains aspects du conflit actuel. Ce n’est pas directement lié au pays, mais aux personnes que j’y ai rencontrées.
Je me tiens toujours une sorte de « rapport d’étonnement » pour chaque pays, où je note toutes les choses qui m’ont surpris.Par exemple, en Asie centrale, la place de la femme dans la famille, ou la façon dont on envisage le mariage pour les enfants. Je n’avais pas imaginé à quel point ces cultures pouvaient être traditionnelles et conservatrices.
La Chine, elle, m’a constamment surpris : la gestion de la famille, des couples, des générations… c’est un choc culturel permanent, et c’est ce que j’adore découvrir.
Généralement, comment communiques‑tu avec les personnes qui te prennent en stop ?
Avant de sortir Google Traduction, j’essaie d’échanger quelques mots dans différentes langues, avec des gestes aussi, juste pour sentir si la personne est réceptive. Souvent, on sait très vite si le trajet va bien se passer, même sans parler la même langue : quand les deux ont envie de communiquer, ça se ressent immédiatement. Parfois, ça dépend aussi de mon propre état de fatigue.
Pendant ce voyage, j’ai aussi commencé à apprendre des langues. Au Kosovo, on m’a dit que, en Asie centrale, presque personne ne parle anglais mais beaucoup parlent russe. Je me suis dit : « Ok, ça fait longtemps que j’ai entendu parler de Duolingo… je vais essayer. » Je me suis donc mis au russe. Puis, en Grèce, j’ai arrêté le russe pour apprendre un peu de grec, puisque j’allais y passer trois mois. Idem en Turquie, j’ai commencé à apprendre un peu de turc. Au final, ces apprentissages m’ont surtout permis de me sentir à l’aise lors des premières dizaines de minutes de conversation.
En Asie centrale jusqu’à la Chine, le russe a été la langue principale. Ce pari a été gagnant : apprendre le russe m’a ouvert beaucoup de portes et m’a sauvé dans mes interactions. Aujourd’hui, je dirais que j’ai un bon niveau, alors que je suis parti de zéro. Je dirais que mon apprentissage a été moitié Duolingo, moitié pratique sur la route : tester, se tromper, essayer de se faire comprendre… Duolingo seul n’aurait jamais suffi, mais couplé avec la pratique terrain, ça a très bien fonctionné. C’est pareil pour le chinois : les hanzi m’ont aidé visuellement, mais la pratique sur place était indispensable.
Et en dernière limite, il y a Google Traduction. En Chine, j’ai utilisé un outil un peu moins écolo, un ChatGPT chinois, beaucoup plus efficace pour traduire rapidement. J’étais parfois épuisé pour me faire comprendre, et cet outil m’a vraiment sauvé les dernières semaines du voyage.
En Chine, on t’a vu goûter à beaucoup de choses différentes. Est-ce que c’est là que tu as ressenti ton plus grand choc culturel ?
Oui, c’est vraiment un endroit où tu sens que ce n’est pas ta culture, où tu n’es pas chez toi. Tout est différent, c’est complètement déboussolant. Et encore, je dirais que des pays comme l’Inde peuvent être encore plus déroutants, avec la difficulté d’entrer dans le pays, les applications, la logistique… Beaucoup de voyageurs se sentent freinés par ces obstacles.
En Chine, tous les jours, je ressentais cette différence : les habitudes, les modes de vie, et même le regard des gens. On te fait sentir que tu n’es pas un local, et ça participe à ce sentiment constant d’étrangeté et d’émerveillement à la fois.
Tu écris pas mal d’aphorismes. Qu’est-ce que le Slow Travel t’inspire et comment cela se reflète dans tes écrits ?
« Le voyage est un art, pas un sport. »
« Le voyage lent, c’est faire parcourir à l’esprit plus de chemin qu’au corps. »
« Le degré de civilisation d’un lieu se mesure à l’impartialité de sa science et la propreté de ses toilettes. »
« La créativité est un chemin vers l’accomplissement de l’esprit. »
« Prendre l’avion, c’est manger les deux extrémités d’une banane et jeter le reste ».
C’est marrant, parce que sur Instagram, ça ne génère pas beaucoup de vues, mais les aphorismes me tenaient vraiment à cœur. Le terme peut paraître un peu « pompeux », mais au départ, je notais juste des phrases qui me passaient par la tête. Parfois, je me disais : « Ah, c’est une bonne punchline ! » Je n’écris pas de chansons, de rap ou de poésie, alors je me suis dit : pourquoi ne pas les mettre dans une liste et publier certaines ? Peut-être que ça intriguerait d’autres personnes. J’en ai encore beaucoup en réserve.
Beaucoup de mes aphorismes sont liés au Slow Travel, parce qu’ils viennent de ma réflexion sur ce mode de voyage. Derrière le mot « slow », il y a tellement de choses : l’état d’esprit, la manière d’approcher l’autre, de discuter, de poser des questions… Avec l’autostop et la marche, je me rends compte que tout cela fait partie de l’expérience.
Je me fais souvent ces réflexions pendant que je marche des heures. Toutes mes sorties de ville, que ce soit à pied ou en stop, me laissent du temps pour penser. La marche est tellement génératrice d’idées que la plupart de mes aphorismes sont nés de là… ou sous la douche ! Mais je marche plus que je ne prends de douches, donc…
Cette pratique m’a aussi donné envie d’écrire davantage. Si un jour je publie un livre, je pourrais utiliser mes aphorismes comme introduction ou comme titre de chapitres, plutôt que de citer d’autres auteurs, pour résumer mes expériences ou ma vision du voyage.
J’ai aussi été influencé par quelques livres que j’ai emportés dans mon sac. Peu original, mais Tesson m’a beaucoup marqué, notamment par sa capacité à choisir des mots précis qui créent une image complète en quelques phrases. Et puis « Les Facéties du Stop » de Siméon Baldit de Barral, un livre court mais très juste sur l’amour de l’autostop, m’a rappelé pourquoi je pratique ce mode de voyage. Ces deux auteurs m’inspirent : je n’ai pas encore leur talent, mais je me dis que si je m’y consacre, peut-être que ça viendra.
As-tu déjà fait de l’autostop à plusieurs ? Comment cela se passe‑t-il ?
Ce qui est compliqué avec l’autostop à plusieurs, c’est qu’on se croise rarement sur la route : on est souvent seuls dans les voitures. Les cyclistes, par exemple, sont plus visibles et faciles à rencontrer. Pour ma part, j’ai rencontré plusieurs autostoppeurs via Couchsurfing, par hasard sur la route, ou encore sur Instagram.
Je pense à Jules (@julesriss sur instagram), avec qui j’ai passé deux semaines au début de mon itinéraire en Chine. On ne se connaissait pas personnellement, juste via Instagram. Il avait beaucoup de questions sur l’Asie centrale et m’avait contacté. On a rapidement vu qu’on pouvait faire un bout de chemin ensemble, et le feeling est très bien passé.
L’été dernier, j’ai aussi embarqué mes parents pour 2000 kilomètres de stop à travers la Géorgie et l’Arménie. Parmi toutes les personnes avec qui j’ai pu partager un bout de chemin, c’est probablement les plus intrépides : peur de rien, motivés pour tout. Ils m’ont vraiment impressionné, et on a partagé un moment d’aventure unique ensemble !
Avec le temps, je suis devenu un peu plus sélectif sur les personnes avec qui je voyage. Je veux m’assurer que ce soient des personnes flexibles, capables d’accepter le rythme et les choix qui font mon voyage. Par exemple, moi je veux marcher pour sortir d’une ville. Si la personne préfère prendre un taxi ou un bus, on ajuste, mais je reste ferme sur mes objectifs. Il m’est arrivé de voyager avec quelqu’un en me rendant compte que ça faisait trop d’écarts avec mon rythme : on a alors pris des chemins séparés, et ça s’est toujours bien passé.
En Arménie, j’ai voyagé avec des amis russes qui avaient eux aussi adopté un mode de voyage très incertain, après avoir quitté leur vie du jour au lendemain. On s’est retrouvés sur beaucoup de points malgré des histoires de vie très différentes. Eux vivaient cette incertitude par nécessité, moi par choix. On a même réussi à être pris à quatre dans une voiture plusieurs fois, ce qui était assez rare et amusant. Ce mode de vie léger m’a beaucoup plu.
Avoir quelqu’un avec soi peut aussi faciliter les interactions avec les locaux, presque comme avoir un traducteur dans la voiture. Même si j’aime partir seul, voyager avec quelqu’un a été presque toujours un grand plaisir. J’ai pu partager des trajets de trois jours à un mois. Le plus long, c’était avec Camille, un mois entier, et ça a été vraiment enrichissant : ça apporte une nouvelle perspective et une dynamique différente. C’était vraiment cool.
Quelles ont été tes plus grandes galères en voyage ?
On me demande souvent les galères en stop, et statistiquement, il m’en est arrivé très peu.
Parfois, quand je frappais aux portes pour chercher un hébergement, il fallait aussi s’ouvrir à d’éventuelles mauvaises surprises : certaines personnes peuvent profiter de ta vulnérabilité. Ça m’est arrivé quelques fois.
En stop, j’ai eu deux accidents de voiture. La première fois, j’ai un peu interprété ça comme un signe qui m’a « sauvé » d’une mauvaise situation où des gens tentaient de m’arnaquer. La seconde fois était plus malheureuse : le conducteur s’était endormi. Dans les deux cas, il n’y a eu que des dégâts matériels, tout le monde va bien. C’étaient des moments de peur, mais sur 800 trajets, ça reste minime.
Deux grands moments de galère me viennent surtout à l’esprit :
Le premier a été au jour de mon premier anniversaire de voyage. J’avais mis mon téléphone à charger dans la voiture de mon conducteur, une voiture de location et, peu après, le logiciel a dysfonctionné. Le téléphone s’est réinitialisé, effaçant toutes mes données. J’ai perdu un an de photos et de vidéos, de toute ma première année de voyage. C’était un coup dur pour le moral, mais ça m’a aussi poussé à réfléchir sur ma pratique : voyage-t-on juste pour collecter des images, ou y a-t-il quelque chose de plus derrière ? Malgré cette réflexion, c’est une cicatrice : de temps en temps, je me dis encore « Ah cette photo… ah oui, elle est perdue ». Cela a aussi impacté ma créativité sur Polarsteps : beaucoup de mes étapes en Turquie sont sans photo, notamment mes souvenirs avec les conducteurs et mes clichés d’Istanbul. Cette perte explique en partie mon retard sur Polarsteps.
Le second grand moment de galère m’amuse aujourd’hui. J’avais ce projet fou de traverser le Pamir en février, au Tadjikistan, en stop. J’ai réussi, mais ce n’était pas facile : je me suis retrouvé seul à 4 000 mètres d’altitude, par -15°C, à marcher pour rejoindre de petites maisons dans les villages, juste pour couper mes étapes en journée. C’était éprouvant, mais en même temps, c’était exactement le genre de rebondissements d’aventure que je recherchais : intense, extrême et mémorable.
Comment réagis-tu dans des situations difficiles ou des conditions extrêmes ?
Il y a une phrase qui guide ma vie depuis des années : être heureux, c’est être à l’aise avec ce qui t’arrive. Elle est un peu mal formulée, mais elle est très profonde. Dans une situation difficile, je passe d’abord un mauvais moment. Puis je me rappelle cette phrase. Cela m’aide à adopter une approche rationnelle : je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour avancer, et pour le reste, je n’essaie pas de me morfondre ou de me punir mentalement sur des choses que je ne peux pas contrôler.
Mon passage entre le Kirghizistan et le Tadjikistan reste un exemple marquant. Je me suis retrouvé bloqué entre les deux frontières dans l’attente de l’obtention de mon permis, où sur le moment je maudis le monde, les gardes-frontières ou les circonstances. Coincé dans la neige, seul, j’ai vécu deux semaines de conditions extrêmes : morsure de chien, moments de panique… Mais en prenant un peu de recul, j’ai vu la beauté : les montagnes, la neige, et surtout le lien incroyable avec un couple qui m’a accueilli pendant six jours. Ce type de galère crée des souvenirs et des images mentales uniques. Même pour les galères administratives, je me rappelle que j’ai un passeport privilégié. Être bloqué entre deux frontières me rappelle que beaucoup de personnes vivent ces difficultés quotidiennement. Cela me rend humble et m’aide à relativiser. C’est aussi accepter mes décisions passées. Par exemple, avant de prendre ma décision, je n’avais pas consulté les blogs de voyage ou les guides où les informations étaient pourtant présentes. Si avec le recul je me rends compte que c’était une mauvaise décision, je ne me blâme pas : je n’avais simplement pas l’information à ce moment-là.
Parfois, même si je ne suis pas religieux, j’essaie de voir la magie, le hasard su stop, ou le destin dans ce qui arrive. Quand j’ai perdu toutes mes photos et vidéos, c’était un coup dur, mais je l’ai pris comme matière pour réfléchir à pourquoi je voyage.
Au final, ces expériences m’apprennent à voir la beauté dans l’adversité et à rester à l’aise, même dans l’absurde ou l’extrême.
Pendant tes voyages, est-ce que tu t’inquiètes plus pour toi ou pour tes proches ? Comment gères-tu le stress qu’ils peuvent ressentir quand tu es dans des situations délicates ?
La première chose qui me vient à l’esprit quand je me retrouve coincé entre deux frontières sans internet, c’est : mes proches ne sont pas au courant. Quand j’ai retrouvé du réseau dix jours plus tard, certains amis commençaient effectivement à s’inquiéter : « Toi qui postes presque tous les jours sur Instagram, qu’est-ce qui se passe ? » Quand ce couple m’a hébergé, la première chose que j’ai faite, c’était de demander à utiliser leur internet pour envoyer un message à mon frère et rassurer mes proches. J’ai un cercle familial assez restreint, et si je les tiens informés, ils peuvent répondre à d’autres questions et apaiser l’inquiétude. Dans ces moments-là, je me rends compte que je me suis parfois plus inquiété pour eux qu’ils ne l’ont été pour moi. Je pensais : ça fait déjà une semaine que je n’ai pas donné de nouvelles et je suis dans une situation un peu délicate, donc je voulais m’assurer qu’ils ne s’inquiètent pas inutilement. Mais très tôt dans le voyage je me suis efforcé de donner des nouvelles, à mes parents en particulier, pour qu’ils prennent confiance et conscience que je n’étais pas coupé du monde.
Quels ont été tes moments les plus marquants ou suspendus pendant ton voyage ?
C’est un peu un exercice mental pour moi de prendre du recul et de repenser à tous ces instants : la magie du moment, ce que j’ai accompli, cette adrénaline ou cette vibration qui te fait dire wow, c’est vraiment exceptionnel. Sarajevo m’a particulièrement marqué, avec ses rencontres spontanées. Tout était imprévu, chaque interaction rendait le voyage magique, et l’autostop s’est révélé parfait pour ce genre de situations. En Turquie, j’ai partagé des moments uniques avec une colombienne et un français, randonnant de plage en plage, où la spontanéité et la légèreté rendaient chaque journée unique. J’ai aussi découvert les Rainbow Gatherings, ces rassemblements inspirés de la culture hippie qui ont lieu à chaque nouvelle lune. J’y suis resté dix jours, entouré entre autres d’iraniens, russes, géorgiens, arméniens, israéliens, turcs… tous venus pour se reconnecter à la nature. La communion, la cuisine collective, le respect de l’environnement… tout cela m’a apporté beaucoup de légèreté, même si certains codes m’ont paru un peu trop communautaires. Enfin, la Mongolie a été une expérience à part. Deux mois qui m’ont permis de m’immerger pleinement dans la culture nomade. Les vastes étendues et ce sentiment de me sentir perdu au milieu de rien étaient absolument magiques, comme un fantasme que je portais depuis deux ans. Même des lieux simples, comme une place à Oulan-Bator ornée de drapeaux mongols, prenaient pour moi une saveur particulière et mémorable.
Comment envisages-tu la suite après la Mongolie ?
Mon arrivée en Mongolie a en quelque sorte défini le timing pour la suite de mon voyage, notamment mon retour vers l’Europe. J’ai obtenu un visa transit de 16 jours pour la Russie, donc après deux mois en Mongolie, je prendrai le Transsibérien pour commencer ma grande traversée vers l’Ouest jusqu’à Moscou. puis je reprendrai le stop direction Saint-Pétersbourg, j’entrerai ensuite en Estonie, et je continuerai ma route jusqu’au retour en France en décembre.
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite voyager comme toi ?
Rien de révolutionnaire, mais l’essentiel est de prendre le temps. On voit parfois des « tourdumondistes » afficher des projets de voyage qui passent par 16 ou 20 pays en un an. Pour moi c’est aberrant, c’est une courses. Le vrai voyage réside dans les détours, les rencontres et dans le fait de se détacher des influences et des injonctions de « tout voir ».
Il faut apprendre à ne pas trop planifier. Je suis assez surpris, même chez les slow travelers, de constater combien la planification et la réservation de billets restent présentes. Pour moi, en tant qu’autostoppeur, se détacher de cela permet de retrouver une grande flexibilité, une ouverture à ce qui arrive sur la route et aux opportunités inattendues. Arriver à laisser tomber le contrôle et ne pas savoir ce que demain réserve est, selon moi, la clé pour vivre des expériences extraordinaires et être véritablement surpris. C’est ce qui m’a permis de connaître mes plus belles aventures.
Cela implique donc une grande capacité d’adaptation : savoir rebondir, observer, saisir les occasions et rester attentif à son environnement. C’est, selon moi, une part essentielle de la mentalité du slow traveler.
Le plus difficile reste le premier pas : sortir de chez soi et se lancer. Une fois sur la route, tout devient plus naturel. Quand je regarde en arrière, je reste étonné par tout le chemin parcouru et toutes les expériences vécues.