Bateau-stop et voyage itinérant en Amériques : Arnaud partage son parcours et son guide pratique à venir
Dans cette interview, Arnaud, autostoppeur chevronné, revient sur deux années de voyage à travers les Amériques. Il partage son initiation à l’itinérance, au lâcher-prise, aux imprévus et aux défis du quotidien. En retraçant son itinéraire carte à l’appui, il évoque ses aventures, ses apprentissages, et livre de précieux conseils à celles et ceux qui rêvent de se lancer dans le bateau-stop.
Fort de son expérience en bateau-stop, il est en train de finaliser un guide pratique, bientôt disponible. Vous pouvez le précommander dès maintenant en envoyant un mail à l’adresse suivante : porcher.arnaud@gmail.com
Quel âge as-tu, et que fais-tu actuellement dans la vie ?
J’ai 32 ans, je suis actuellement en France, je travaille comme saisonnier. Je suis né à Cholet, j’ai fait mes études là-bas. Après un bac ES, j’ai fait des études de commerce international parce que j’avais envie de voyager. Mais le contenu ne correspondait pas à mes attentes. Mon idée était de pouvoir allier travail et voyage. Aujourd’hui, je suis homme à tout faire dans un camping. C’est très différent, mais j’aime explorer d’autres choses.
Quel a été ton premier grand voyage ?
Pendant mes études, j’ai passé un semestre en Lituanie, à Vilnius. Pour rentrer, je suis parti en bus jusqu’en Pologne du Sud, puis j’ai fait du stop jusqu’à Cholet. C’était un défi que je voulais me lancer. Je n’avais plus rien sur mon compte, juste la caution de mon appartement. J’ai changé cette somme en zlotys, ce qui me laissait environ 4,50 euros par jour pour rentrer. Avec si peu, j’ai oublié les hébergements payants, la nourriture était très restreinte. J’ai dormi dans des gares, des stations de bus, chez des gens aussi.
J’ai eu une sorte de révélation pendant ce voyage. Un jour, j’avais une envie folle de sucre. Je me suis offert un Mars que j’ai mangé en une heure. J’ai appris à réduire mon seuil de plaisir en fonction de mes moyens. Ce jour-là, j’ai vraiment apprécié ce Mars. Je ne fais pas l’apologie de la pauvreté, mais j’ai compris que le plaisir est relatif.
Et avant ça, tu avais déjà voyagé en stop ?
Avant mes études, j’ai traversé le Canada d’ouest en est, de Vancouver à Québec, en autostop. Le voyage a duré environ un mois et demi, en mode express. Sur le moment, j’ai adoré ce mode de transport, mais aujourd’hui j’en vois les limites. Au Canada, j’avançais petit à petit, parfois avec la peur de ne pas arriver à temps à Toronto pour prendre mon avion. Le stop est un mode de transport très citadin. Si quelqu’un te laisse au milieu de la campagne, il est plus difficile de trouver un autre conducteur. Tu avances de ville en ville, un peu comme des sauts de puce, à la différence d’un voyage à vélo où tu es plus autonome.
Pourquoi avoir choisi de traverser le Canada à l’horizontale ?
Ma sœur vivait à Toronto, et j’avais deux mois de vacances. J’ai commencé à Vancouver, que je connaissais déjà un peu. J’ai traversé les deux-tiers du pays. Côté budget, j’ai pas mal dépensé, notamment en hôtels, car la vie est chère là-bas. J’arrive à Toronto avec de l’avance, je décide de pousser jusqu’à Halifax où vivaient deux Canadiennes que j’avais rencontrées. Au moment de faire les courses, ma carte est refusée. Plus d’argent. Je me dis : “OK, c’est l’aventure”. Ma sœur paie mes courses, je pars. Sur la route, un gars me donne 30 dollars. Un autre me propose un hébergement. En arrivant, je me rends compte que c’est un centre pour sans-abris, avec toxicomanes. Je décide d’utiliser les 30 dollars pour me payer une nuit d’hôtel. Je pioche aussi un peu dans les restes de nourriture laissés par d’autres voyageurs. Finalement, je ne vais pas à Halifax. Trop de pluie, tente trempée… Je demande 500 euros à ma mère et je prends un billet pour retourner à Toronto.
Qu’est-ce qui t’a donné ce goût de l’aventure ?
Cette première expérience a sans doute été influencée par mon père, qui était assez aventureux. Il a traversé l’Atlantique, a voyagé en Guyane, aux Açores, etc. Petit, j’adorais poser ma tente dans le jardin avec mon réchaud, j’avais 7 ou 8 ans. J’ai toujours aimé la randonnée. Un film m’a aussi marqué : Into The Wild. Je l’ai vu en pleine adolescence, ça m’a complètement transformé. C’est à ce moment-là que j’ai mis un pied dans l’aventure. Avec un pote, j’ai fait le tour du Mont Blanc en 10-11 jours. Il a dû arrêter à cause d’un problème de genou, et je suis rentré seul en stop. J’ai adoré : le soleil couchant, une aire d’autoroute, l’arrière d’une voiture… c’était incroyable.
Qu’est-ce que tu retiens de tes premières expériences ?
Je pense que tout ça vient du fait que j’étais un enfant stressé. Mes parents plaisantaient parfois en disant “on est perdus”, et moi, je paniquais. Inconsciemment, je me suis mis en difficulté pour réaliser qu’on n’est jamais vraiment perdu. Même seul, sans argent, tu trouves des solutions. Ça m’a permis de relativiser.
Tu pars pour ton plus long voyage, deux ans sur le continent Américain : t’es-tu préparé longtemps à l’avance ? Comment as-tu géré ton budget initial ?
J’étais plutôt épanoui dans mon boulot, mais l’envie de partir était plus forte que le salaire. J’avais en tête de repartir. J’avais 8000 euros d’emprunt étudiant à rembourser. J’étais revenu à Cholet pour travailler comme commercial. Mais je n’ai jamais eu peur de quitter un job. J’ai mis beaucoup de côté. J’utilisais des enveloppes pour gérer le cash. Je suis parti avec environ 7000 euros, sans droits au chômage.
Pourquoi cet itinéraire ? Et pourquoi sans avion ?
Je voulais traverser l’océan en voilier. J’ai choisi l’Amérique du Sud car on peut créer un lien différent avec les gens quand on parle leur langue. L’espagnol est venu naturellement dans mon parcours : mon stage de fin d’étude de commerce à Madrid s’était transformé en CDI. En Asie, ce serait sans doute plus complexe avec les langues locales. Si je devais parler anglais et que mon interlocuteur devait aussi « se convertir » en anglais, dans le cas où il le pourrait, cela pourrait rapidement devenir compliqué pour communiquer.
Pour être honnête, à l’époque, c’était plus pour l’aventure que pour des raisons écologiques que j’ai décidé d’éviter de prendre l’avion. Même si pendant mon voyage, j’ai été très influencé par Jean-Marc Jancovici dans mes réflexions notamment. J’ai quand même pris trois fois l’avion finalement : de Casablanca aux Îles Canaries, de Tahiti à Lima au Pérou même si ce n’était pas prévu et pour rentrer du Mexique en France. J’étais allé à Tahiti car j’avais l’opportunité de prendre un voilier carbone depuis le Panama. Je savais que je devrais reprendre l’avion, ça ne m’ennuyait pas, j’ai saisi l’occasion. Je pense que je suis moins strict sur le sujet que certains voyageurs en slow travel qui ne prennent jamais l’avion.
Un premier avion du Maroc direction les îles Canaries. Pourquoi as-tu dû prendre l’avion pour cette étape ?
En fait, j’étais mal renseigné. Mon idée, c’était de descendre jusqu’au Maroc et de choper un bateau pour traverser l’Atlantique. Mais très peu de bateaux font escale au Maroc, et en plus j’étais déjà un peu tard dans la saison : mi-février. La plupart des voiliers étaient déjà partis. Si je ratais cette fenêtre, il fallait que j’attende un an de plus.
Alors j’ai pris un vol pour les Canaries. Une fois sur place, j’ai commencé à démarcher… et j’ai trouvé un bateau.
Avec toutes les annonces qu’on peut voir défiler sur la Bourse aux équipiers, comment tu t’y es pris trouver ton premier bateau ?
C’était en 2018, donc déjà un peu moins populaire qu’aujourd’hui. Et comme c’était tard dans la saison, il y avait aussi moins de concurrents sur place.
Mais surtout, je me suis demandé : à qui je m’adresse ? Pas à un routard, mais à un capitaine de voilier. Donc possiblement un CSP+, qui a un certain niveau de vie… J’ai posté une annonce sur la Bourse aux équipiers, avec une photo prise avec ma mère, en chemise, un peu BCBG. Je me suis dit que ça collerait mieux à leur univers que la classique photo roots sac à dos. Trois jours plus tard, j’avais une réponse. Un coup de chance.
Tu trouves ce bateau : avais-tu déjà de l’expérience en voile ?
Un peu, oui. Mon grand-père était un passionné de voile et avait navigué sur plusieurs types de bateaux : dériveurs 470, vieux gréements, et un habitable d’environ 11 mètres sur lequel nous partions à six. Dès mon plus jeune âge, il m’a initié à la voile et s’est assuré que je développe de solides bases, en me proposant de nombreux stages sur dériveurs et habitables. Mon père savait également naviguer, et chaque année nous partions ensemble en mer pour des vacances à la voile, de la Bretagne à l’Espagne, en passant par la Corse et la Côte d’Azur. Tout cela m’a donné une expérience très enrichissante. Pourtant, cette traversée restait la première vraie aventure en mer pour moi, et mon plus long voyage à ce moment-là. Je pense que cette expérience accumulée a fait la différence pour rassurer le skipper.
Comment s’est passée cette traversée ?
Assez frustrante, en fait. J’ai embarqué sur un bateau tout neuf, destiné au charter, avec un skipper pro. Dans mon imaginaire, je m’attendais à un voilier roots, avec les bananes suspendues à l’arrière et un confort plutôt relatif. Heureusement, j’ai vécu cette version un an plus tard.
Côté mal de mer : j’ai de la chance, je suis peu sensible. Certains skippers sont malades, et des novices ne le sont jamais. Là, c’était un catamaran, donc très stable. On a eu 2-3 jours de mauvais temps au milieu de l’Atlantique, mais globalement, le vent venait de l’arrière, régulier. On envoyait les voiles, on avançait à 7-8 nœuds.
Finalement, c’était presque l’expérience la moins intéressante que j’ai faite en bateau pendant ce voyage, à cause du type de bateau. Peu de manœuvres, peu de sensations.
Tu arrives à Saint-Martin, puis direction la Martinique en catamaran à moteur avec un autre skipper et après ?
Martinique > Panama, là c’était incroyable. Le skipper avait énormément d’expérience, si bien que le spi — une voile très puissante — restait hissée de jour comme de nuit, malgré les rafales impressionnantes. Les sensations étaient dingues. J’écoutais IAM dans les oreilles et je criais de joie en tenant la barre. Avec du recul, je dois admettre que le skipper aimait le risque pour être autant surtoilé.
Et ensuite, direction Tahiti ?
Oui, au Panama, on était à côté d’un bateau de compétition en carbone. Ils cherchaient deux personnes en plus, pour être sept à bord. Avec Damien, mon coéquipier, on a saisi l’occasion.
Normalement, il faut 35 jours pour rejoindre Tahiti. Là, on l’a fait en 22 jours. Zéro confort : pas de mousse, pas de miroir, un vacarme permanent. C’était un bateau de course : tout en carbone, sans pilote automatique (interdit en régate).On se relayait toutes les 15 minutes, pas de place à l’erreur. Une mauvaise manip des bastaques et le mât peut tomber.
Comment tu gères la caisse de bord ? Quelles questions poser avant d’embarquer ? Des conseils ?
À titre perso, sur les sept bateaux que j’ai pris, le seul embarquement trouvé sur la Bourse au équipier, c’était celui de la transat.
Il ne faut jamais oublier que c’est un échange. Le skipper te propose une aventure exceptionnelle, mais de son côté, il a besoin de toi aussi. Un skipper seul avec sa femme ou ses enfants sera contraint de faire des nuits bien plus courtes pour assurer les quarts. Avec des équipiers, ils pourront dormir plus longtemps.
Je dirais : pas plus de 15 euros de caisse de bord par jour. Au-delà, il y a un risque que le capitaine cherche à faire un petit bénéf sur ton dos.
Ne jamais envoyer d’argent à distance. Et surtout : ne pas accepter n’importe quoi. Le problème, c’est que si un bateau-stoppeur accepte des conditions abusives, ça tire tout le monde vers le bas. Il faut être solidaire et refuser collectivement.
Quelles sont tes relations avec les capitaines ? Comment communiques-tu ?
Faut s’adapter au maximum. On est chez lui, sur son bateau. Pas faire profil bas, mais comprendre les règles. Il y a une hiérarchie très présente dans le monde de la voile. Ce n’est pas forcément un mal, mais il faut l’accepter. C’est lui le chef, il faut l’écouter.
Après, y’a une vraie différence entre les hommes et les femmes à bord. Beaucoup de retours de filles qui se prennent des remarques sexistes, qu’on empêche de manœuvrer parce qu’elles sont des femmes. Moi, j’étais plutôt privilégié : j’étais un homme, je savais un peu naviguer, et je savais m’adapter. J’ai eu quelques frictions avec certains capitaines, mais pas parce qu’on était fondamentalement incompatibles.
Il y a eu un épisode entre le nord de la Patagonie et Panama : 30 jours à deux sur un voilier un peu roots. À deux, dans un espace aussi réduit, tu finis par vriller. On a fini par se détester mutuellement, je pense.
Quand tu passes trop de temps enfermé avec quelqu’un, tu vois tous ses défauts, et lui les tiens. T’as juste envie de poser le pied à terre.
Même avec le capitaine du bateau de course, on a eu des tensions. Mais bon… tu fais avec.
Quelles sont tes habitudes sur un bateau, ta journée type ?
Franchement, on s’ennuie souvent sur un bateau. On imagine plein de manœuvres à faire, et c’est vrai pour le cabotage ou les navigations côtières. Mais sur les grandes traversées, non : tu gardes le cap, tu fais une veille à 360° de temps en temps, tu vérifies les dangers, mais globalement… il ne se passe pas grand-chose.
C’est d’ailleurs ce que je raconte dans le livre : cet ennui, c’est une chance. Dans nos quotidiens surstimulés, on ne prend plus le temps de s’ennuyer. Là, tu peux penser à tes proches, à tes projets, laisser émerger de nouvelles idées…Ta journée se résume souvent à un projet simple : par exemple, hisser le génois, mais si on n’a pas le tangon, alors on installe la béquille. Puis lecture, un épisode de série, et beaucoup de discussions. Il y a aussi ces moments où tu ne fais rien, tu regardes au loin, tu rêves, tu laisses filer le temps. Tu fais un peu de tout, sans pression.
Une galère en mer ?
Le pire, c’était avec ce bateau, de nuit. J’étais de quart, le capitaine dormait. On avançait sous génois quand le bateau est entré dans des lignes de pêche non signalées. La voile s’est enroulée dans l’étais. Réflexe : je grimpe sur le balcon avant, pieds nus, et je tente de dégager la voile. Plusieurs minutes à tirer comme un fou, j’y arrive.
Mais là, je réalise : je ne suis pas attaché. Il y avait un peu de mer, un mètre cinquante de creux. Léger, mais suffisant. Si une mauvaise vague m’emporte, si je glisse… c’est la mort. On est deux, c’est de nuit. C’est là que j’ai compris : il ne faut pas foncer tête baissée. Harnais, gilet de sauvetage… parfois, il faut prendre le temps d’être prudent.
Arrivé à Tahiti, que fais-tu là-bas ?
Je suis resté plus d’un mois à Tahiti. J’en ai profité pour me reposer, faire quelques randonnées, vraiment chiller. Je vivais chez un gars que j’avais rencontré sur place. J’étais souvent avec lui et ses chiens, on se baladait autour de chez lui.
Je savais que je ne pouvais pas revenir en bateau vers le continent sud-américain. Ce n’est pas faisable sans faire un immense détour. Le plus simple aurait été de faire Tahiti–Nouvelle-Zélande, puis rejoindre la Patagonie par le sud en profitant des vents et des courants. Une mission de fou. Alors j’ai lâché l’affaire. J’ai pris un avion.
Pérou : descente de l’Amérique du Sud en stop ?
Un pote m’attendait au Pérou. J’y suis resté environ six mois. Avec lui, on a fait Lima–La Paz sur un mois, un mois et demi. Mon grand objectif, c’était de passer le Cap Horn. C’était le rêve de mon grand-père, avec qui j’étais très proche. J’avais un petit casse-noix qu’il avait fabriqué, que j’avais emporté avec moi. Mon idée, c’était de le jeter au large du Cap, depuis un voilier.
Mais pour ça, je devais respecter une saison. Et ça, c’est vrai pour tout : le bateau, le boulot, les rendez-vous météo. C’est bien parce que ça te donne un rythme, mais tu perds un peu en liberté. C’est le bémol du bateau-stop.
Tu retiens quoi de tes rencontres faites durant ton voyage en stop en Amérique du Sud ?
C’est surtout pendant les périodes de volontariat qu’on crée du lien. Sur trois mois, tu vis ensemble, tu partages beaucoup. En itinérance, c’est autre chose. Le stop, ça dépend des pays.
En France, tu peux tomber sur n’importe qui : du PDG au saisonnier. En Amérique du Sud, c’est souvent des routiers qui te prennent gratuitement. Moins de diversité. Je ne suis pas trop du genre à dormir chez l’habitant non plus : après une journée à faire la conversation en stop, ce que j’aime, c’est me retrouver seul dans ma tente, écouter un podcast tranquille. Si je devais encore faire la causette le soir, j’en pourrais plus.
Quel pays t’a le plus marqué ?
Difficile à dire, peut-être le Mexique ! Les gens sont incroyablement chaleureux. Bolivie aussi, j’ai adoré. C’est particulier : à La Paz, tu demandes ton chemin, on te répond… mais souvent avec de fausses indications. Donc, il faut toujours recouper avec deux ou trois personnes !
Le Pérou est un condensé de tout : paysages, histoire, gastronomie. Et le Chili, c’est splendide aussi. Franchement, c’est difficile de choisir.
Comment s’est déroulé ton bateau-stop vers le Panama ?
J’étais arrivé à la marina d’Ushuaia, où j’ai rencontré Patrick Jean-Didier, un skipper qui faisait du charter autour du Cap Horn. On a bien sympathisé, et il m’a même hébergé sur son bateau une nuit. Mais il m’a expliqué qu’il n’avait pas de place pour moi, car il attendait des clients.
À l’époque, je vendais des roses des sables en chocolat dans la rue pour gagner un peu d’argent, en Argentine et au Chili. À sec, je me suis trouvé un volontariat dans une auberge de jeunesse. Je dors une nuit là-bas, et le lendemain Patrick m’envoie un message : finalement, sa compagne et leur bébé ne viennent pas, il a donc une place pour moi. Ni une ni deux, je file au bateau. Gros coup de chance !
Après le Cap Horn, j’étais censé remonter par voie terrestre, mais les choses ont changé. Emmanuel, un autre capitaine, avait vu son équipage repartir en France et m’a proposé de l’aider. Pendant 45 jours, j’étais équipier payé avec lui, remontant les canaux de Patagonie.
Enfin, de la Patagonie nord jusqu’au Panama, j’ai embarqué avec Thomas. Il m’a proposé 500 euros pour faire la remontée avec lui. Le plus dur ? Je fume. J’avais prévu un stock de clopes pour toute la traversée… sauf que Thomas s’est remis à fumer aussi. Plus assez de clopes. Et pas de sucre non plus à bord. Autant dire que quand je suis arrivé à Panama, un paquet de clopes et du chocolat, c’était le paradis !
Quels ont été tes jobs et volontariats pendant ce voyage ?
J’ai fait pas mal de petits boulots. Les roses des sables, je les vendais en direct. Je faisais des prix dégressifs : « c’est moins cher si t’en prends deux ! » (je me souviendrai toujours de cette phrase en espagnol). Je m’étais même posé une question existentielle : est-ce que je prends du chocolat de qualité (moins de marge) ou du chocolat bas de gamme (plus de marge) ? J’ai choisi la qualité. J’en suis assez fier.
Une fois, je me suis fait virer d’un petit village à cause de ça par les autorités locales. Pareil au Mexique : je vendais des papillons en origami et les flics m’ont dit que je n’avais pas le droit.
Sinon j’ai été loueur de kayak à Ushuaia pendant quelques jours, j’ai été rémunéré et nourri pendant certaines traversées et j’ai bossé dans des fermes de chanvre en Californie. À côté de ça, j’ai fait quelques volontariats.
Tu nous as écrit que tu as vécu une expérience assez dingue : monter dans un train de marchandises au Mexique. Peux-tu nous en parler ?
C’était l’une des expériences les plus marquantes de mon voyage. Au Mexique, il y a ce qu’on appelle « La Bestia » ou «el tren de la muerte». Ce sont des trains de marchandises utilisés par de nombreux migrants d’Amérique centrale qui tentent de rejoindre les États-Unis. On les appelle ainsi parce que le voyage est extrêmement dangereux : les autorités mexicaines traquent ceux qui montent dessus, et il y a un réel risque de mort, que ce soit à cause des descentes policières ou des accidents. La nuit, beaucoup de types rôdent autour des voies, parfois pour voler, parfois juste pour survivre.
Je ne referais jamais ça aujourd’hui. Avec du recul, je me rends compte que c’était une vraie roulette russe. À l’époque, je venais de quitter Mexico City et j’avais rejoint Aguascalientes. Sur les rails, j’ai rencontré trois jeunes Honduriens. J’ai eu la chance de passer inaperçu : je n’avais pas le dernier sac Osprey ou des vêtements bien clinquants… Je cultivais volontairement ce look « roots », histoire de ne pas attirer l’attention ou me faire emmerder. D’ailleurs, petite anecdote : un jour, au Mexique, j’ai fait du stop avec un type que je ne sentais pas du tout. Je pensais qu’il allait me voler. J’étais préparé à ce genre de situation. J’avais toujours sur moi un petit origami, un papillon, que je montrais en disant : « Regarde, tu t’es trompé de gars, je vends ces trucs-là pour 50 centimes pour pouvoir manger. J’ai rien à te donner. » C’était ma manière de désamorcer.
Pour revenir au train, ces jeunes avaient l’habitude. Il fallait attendre un convoi avec deux locomotives – seuls ceux-là allaient loin. Ils connaissaient aussi les numéros de série qui indiquaient la destination pour aller vers le nord. Je me souviens d’un type rencontré à Torreón, qui avait perdu un bras, sous crack ou amphétamines. Il m’a raconté qu’un autre gars l’avait agressé, volé, poussé sous le train. C’était surréaliste.
À Aguascalientes, on attend plusieurs heures. Quand le bon train arrive, j’ai cette image gravée : le leader des trois gars, avec sa grande cape, qui se retourne et nous dit « Allez, on y va ! » comme dans un film. On court, on saute devant un conteneur. C’était plutôt spacieux, plutôt cool… mais on ne savait jamais quand ça allait s’arrêter. À un moment, le train s’arrête cinq minutes, les gars ont sauté dans les vignes à proximité, mangent quelques grappes au passage, puis sont revenus comme si de rien n’était. Ce train-là, c’était presque une balade.
Le lendemain, je suis monté dans un autre train avec un autre type. Là, c’était plus chaud. On était à Chihuahua, on court vers les derniers wagons, on monte à l’arrière : juste une poutre de 40 cm de large pour s’asseoir. J’étais stressé, huit heures de trajet comme ça… Je lui demande « Tu le sens comment ? » Il était en sueur, a fait un signe de croix et m’a dit « Ça va le faire, tant qu’on ne dort pas. » Finalement, on a changé de wagon, où cette fois-ci on était plus en sécurité car on pouvait au moins dormir en chien de fusil. On a traversé un tiers du pays, entre Aguascalientes et Chihuahua : entre 1 500 et 2 000 km.
Comment s’est passée la traversée de la frontière Mexique/USA ?
Il faut bien choisir sa frontière. Celles du côté caraïbes sont les plus courtes, mais aussi les plus chaudes, avec beaucoup d’immigration. Tijuana, côté Pacifique, c’est aussi tendu. Moi, j’ai choisi une frontière plus tranquille, avec peu de monde. À l’époque, Trump n’était pas encore président, donc c’était un peu plus simple.
Le stop était difficile. Dès la frontière passée, les flics m’ont pris en photo. Le stop passif ne marchait pas, je suis passé au stop actif. Mais les promesses du style “je reviens dans 30 minutes” ne se réalisaient jamais.
Complètement fauché, j’ai été même obligé de dormir dans un refuge pour SDF. Alors que j’étais incapable de dormir dans un centre pour sans-abris au Canada, quelques années plus tard, je me retrouve dans ce refuge qui n’effectuait pas de tests d’urine et où il y avait par conséquent plein de drogués. Je me suis dit : 10 ans plus tôt, j’aurais flippé. Aujourd’hui, j’accepte. Les journées étaient pourries. Je faisais la manche, rien ne marchait. Un flic a fini par me proposer de m’aider en me payant le bus. Plus tard, des potes ont compris ma galère et m’ont payé un ticket pour que je puisse aller dans la région où je pouvais trouver du travail. Je me souviens que le moindre papier à rouler valait beaucoup pour moi à ce moment-là. J’étais vraiment à sec… et je suis reparti avec ce que je considère, aujourd’hui, comme pas mal d’argent.
Peux-tu nous raconter un moment unique de ton voyage qui te vient directement à l’esprit ?
Il y a un moment particulier, une chance fou où je me suis retrouvé guide à Salar de Uyuni pour des touristes anglophones, alors que je n’y connaissais rien du tout… Je me retrouve en binôme avec le driver bolivien pendant trois jours. Moi je suis guide. Avec mes deux pauvres copies doubles rédigées à l’arrache avant le départ, il faut que je fasse croire aux touristes que je connais très bien le Salar et que j’étais là depuis longtemps. En réalité, sur chaque spot, je n’avais qu’une pauvre phrase à dire. Finalement, dès le premier jour, je leur ai dit « Bon écoutez, je vais être totalement honnête avec vous, je ne suis pas guide, moi, on m’a dit tu seras guide anglophone, tu pourras faire le tour gratuit. » Avec le recul, quelle chance ! Ce genre d’aventure, c’est peut être le fait de vivre avec très peu de moyens : tu saisis les opportunités, tu t’adaptes, et tu vis des trucs incroyables.
Le slow travel est devenu plus populaire aujourd’hui. Qu’en penses-tu ?
À présent, je ne voyage plus de cette façon sur de longues périodes, c’est difficile d’avoir un avis. Par contre, je suis lucide sur mes propres motivations à l’époque : elles n’étaient pas toutes saines. Une partie venait de l’ego, et ce n’est pas une bonne raison pour voyager.
Je me souviens, au Canada, quand je faisais du stop et que je rencontrais une jolie fille… il y avait ce truc un peu naze dans ma fierté de lui déballer mes aventures. Et aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, beaucoup voyagent pour l’image, pour l’exploit. On montre les grandes étapes, on collectionne les « exploits »… C’est humain, mais parfois mal placé.
Tu vas repartir ? De la même manière ? Ou différemment ?
Aujourd’hui, je suis plus dans l’idée de micro-aventures. Par exemple, descendre la Loire en canoë, ou naviguer en dériveur de randonnée le long des côtes avec une tente, une grille, un feu de camp… Des trips d’un mois, intenses mais courts. J’aspire plus à une vie sédentaire, à construire quelque chose de plus stable, tout en gardant ces aventures ponctuelles.
Tu comptes publier un guide sur le bateau-stop. Quels conseils donnerais-tu ? Peux-tu nous en parler ?
Oui, j’y travaille. Le guide réponds à deux problématiques :
- Comment éviter les erreurs (saisons à respecter, choix du capitaines, les dangers fréquents en navigation etc.)
- Comment maximiser ses chances de trouver un embarquement.
Faire du bateau-stop sur de longues traversées n’est pas anodin et comporte des risques, il est donc d’autant plus important de se renseigner avant de s’embarquer pour une telle aventure.
Le but, c’est d’aider à éviter les erreurs, que ce soit concernant les saisons à respecter, l’importance de bien choisir son capitaine, les bases en navigation à connaitre etc. Parce que sur un bateau, les conséquences peuvent être beaucoup plus graves qu’ailleurs, d’où l’importance de s’informer au maximum avant d’embarquer.
Peu de contenu existe sur des choses essentielles comme les saisons pour traverser l’Atlantique. Il y a beaucoup à savoir : quand partir, dans quelle direction, comment choisir le bon capitaine, comment gérer le mal de mer…
Le guide est structuré en deux parties : la première aborde quand partir, les saisons, vers où partir. Comment bien choisir le capitaine, faire face au mal de mer. Cette partie est assez accessible. Dans la seconde partie, je parle des bases de navigation, des allures, d’où vient le vent, comment le ressentir, les signaux. Ce livre est vraiment destiné tant aux néophytes qu’à ceux qui veulent aller plus loin en raison de leur curiosité. J’ai en effet élaboré un quizz, avec une quarantaine de questions techniques. Avec le quizz, ceux qui sont curieux peuvent aller plus loin, les autres peuvent rester sur l’essentiel. Je veux que ce soit utile à tous les profils.
Un mot de la fin ?
Sans parler du plaisir de l’itinérance, j’ai parfois l’impression qu’il y a une forme d’injonction au voyage. Comme si, si tu n’as pas voyagé en sac à dos, tu avais raté ta vie. C’est un discours que je trouve dommage. J’ai des amis qui ont une vie plus classique : un CDI, des potes, une routine… et qui sont très heureux sans n’avoir jamais bougé de leur région.
Le voyage ne rend pas forcément meilleur. Il ne faut pas idéaliser ça. On n’est pas une meilleure personne parce qu’on voyage autrement. Et il faut se méfier lorsque ceux qui rentrent de leur voyage et tentent d’évangéliser les autres avec leurs aventures.
Je repense à cette étude sociologique de Harvard, qui a suivi des gens tout au long de leur vie, de milieux très différents. La conclusion ? Ce qui rend heureux, ce sont les relations humaines durables et profondes. On comprend alors qu’une vie entière passée sur les routes permettra difficilement de nourrir des relations humaines sur le long terme.