Traversée du désert du Kyzylkoum en autostop
Il nous restait quelques roubles en poche et seulement une demi-journée pour quitter le territoire russe. D’Astrakan, quatre voitures nous ont successivement pris en stop pour atteindre le poste-frontière.
LE PASSAGE DE LA FRONTIÈRE RUSSO-KAZAKHE
Là-bas, nous dépassons la file d’une trentaine de voitures avant de finalement demander à un conducteur s’il pouvait nous faire passer la frontière avec lui. On s’est alors retrouvé dans une voiture confortable bien climatisée avec ce conducteur kazakh. Une fois la frontière passée, nous avons poussé un soupir de soulagement : l’administration russe, peu clémente et imprévisible en raison du conflit russo-ukrainien, nous inquiétait. Les douaniers kazakhs semblaient surpris de nous voir. Notre conducteur venait de récupérer sa voiture en Géorgie et repartait chez lui à Aktioubé, dans le nord du Kazakhstan, en passant Atyraou où nous nous rendions. Au fil de nos échanges, nous avons découvert le Beshbarmak, le plat national à base de cheval ou de mouton bouillie avec des nouilles, ainsi que le kokpar, un sport équestre où les joueurs doivent attraper et transporter la carcasse d’une chèvre décapitée jusqu’à une zone déterminée pour marquer.
Le désert s’étendait de part et d’autre de cette route droite, seulement interrompu par quelques zones d’extraction d’hydrocarbures. Seuls les passages des routes en construction faisaient ralentir le véhicule pour emprunter des routes sans asphalte.
COURT SÉJOUR À ATYRAOU, VILLE PÉTROLIÈRE
À Atyraou, nous restons deux nuits chez Ruslan, un local. Il nous a fait faire un tour de la ville en nous montrant les imposantes compagnies pétrolières implantées : cette ville a été créée et développée par les Russes pour extraire le pétrole. Des quartiers de villas protégées accueillent les Occidentaux venus travailler dans ce secteur pour un juteux salaire. Il nous expliqua que ces salariés ne s’ennuyaient jamais, la plupart prenant l’avion le temps d’un week-end pour se divertir ailleurs. Une manière de vivre bien loin de nos valeurs. À notre arrivée, on ne pouvait que constater tous les sacs de sables pour faire face à la montée des eaux de la rivière. Une immense partie du désert laissait ainsi le ciel se refléter dans un miroir d’eau tout au long de la route, causé par des inondations récentes.
Chez Ruslan, une dizaine de bols remplis d’eau sont entreposés dans sa cuisine. Il laisse l’eau refroidir pendant la nuit après l’avoir faite bouillir pour la consommer sans risque. Le thé est ainsi la boisson communément bue dans beaucoup de pays d’Asie centrale. Nous échangeons longuement avec lui sur la culture kazakh autour de thés et de biscuits. Nous avons appris à rouler les ‘r’ pour prononcer ‘Paxmet’, qui signifie merci. Il était très intéressé par la culture française, il savait prononcer quelques mots en français et connaissait bien la musique et le cinéma français.
Il faisait très chaud à Atyraou en cette période de l’année. Les pannes d’électricité y sont habituelles l’après-midi. On ne pouvait faire autrement que de faire des siestes à l’ombre en attendant que les températures chutent en début de soirée. La climatisation et les ventilateurs tournaient à plein régime. Comme beaucoup de Kazakhs, on a déambulé dans la ville pendant la soirée, nous asseyant sur les bancs des parcs, parmi les cris des enfants qui se défoulent. Le soleil se levait vers quatre heures du matin, perturbant complètement nos horloges biologiques.
LE STOP DANS LE DÉSERT : ATYRAOU – NUKUS
Pour se rendre par voie terrestre vers les grandes villes d’Asie centrale : Bishkek, Tashkent, Douchanbé ou Almaty, de l’autre côté du désert, il y a seulement deux possibilités. Soit patienter sept jours à Atyrau pour prendre un train abordable vers Almaty ou tenter dès à présent le stop dans le désert.
Nous avons choisi la deuxième option. Après quelques minutes de marche pour sortir de la ville, nous avons été pris en stop une première fois avant qu’une famille en direction de Aktau nous dépose à Beïnéou. Dans leur voiture climatisée, on a lutté avec le sommeil tout au long de ce trajet monotone. À Beïnéou, une petite tempête de sable nous a forcé à nous retrancher dans un restaurant pour déjeuner. Puis, nous avons refait de l’autostop en direction de l’Ouzbékistan. Le deuxième camion que nous avions aperçu s’est alors arrêté pour nous prendre alors que la pluie commençait à tomber. Arrivés au poste frontière, la nuit était déjà là. Nous avons attendu longuement pour présenter nos passeports, comme étonnamment beaucoup de personnes. La foule désorganisée s’est peu à peu transformée en cohue.
Une fois en Ouzbékistan, nous n’avons pas eu d’autre choix que de refaire de l’autostop et de descendre au premier croisement d’un village pour y poser la tente. On pouvait distinguer la silhouette des chameaux entre les poussières et l’obscurité. Les étoiles ont peu à peu disparu derrière un ciel couvert.
Le matin, nous étions bien heureux d’avoir pu échapper à la pluie et aux éclairs. Mais la chaleur est aussi un problème. C’est pourquoi, au bord de la route, on s’est relayé pour faire du stop pour que l’un d’entre nous puisse rester à l’ombre d’un conteneur. Après une bonne demi-heure d’attente et le passage de quelques voitures matinales, une petite voiture de trois tadjiks, partis de Moscou en direction de Douchanbé nous ont emmenés. Serrés, masqués pour éviter de respirer la poussière qui affluait, nous avons roulé toute la journée pour atteindre Nukus.
Traversée du désert 

Poussières dans la trachée. Masqués sous quarante degrés, un vent de sable accompagne la voiture où trois tadjiks s’abreuvent de Fanta. Les conducteurs se relaient plusieurs fois. Parfois, ils empruntent un morceau de route en construction pour éviter les nombreux nids de poule sur cette route désastreuse. On croise le poids lourd de la veille lors du passage de la frontière crasseuse, où la file d’attente a été en réalité une longue attente pour filer. La main sur les ventilateurs du tableau de bord pour analyser la chaleur trop élevée du moteur. On s’arrête à plusieurs reprises pour ouvrir le capot. La facette rassurante, souriante, derrière le masque signalant qu’on peut repartir aussitôt. Sur les sièges, nos peaux toutes collantes avec la sueur se frottent entre elles, comme des poupards bavant la poussière, immobiles sur leurs culs dans un bac à sable en plein cagnard. On s’arrête pour faire le plein de gaz et de Fanta dans l’un des rares villages de cet immense espace de vide et de blizzard. Les heures apparaissent ralenties, fondantes, agglutinantes, aveuglantes comme si nous étions les acteurs envoyés à se mouvoir à l’intérieur du petit tableau « La Persistance de la mémoire » de Dali.
ALMATY : REPOS ET ASCENSION AU PLATEAU DE KOK-ZHAYLYAU
Après plusieurs mois d’itinérance, la fatigue s’est accumulée. Nous avons réservé deux nuits d’hôtel à Almaty où on s’est enfermé pendant 48 heures avec plusieurs kilos de fruits et de légumes dans le frigo. Nous avions l’intention d’atteindre la Mongolie au mois d’août pour y profiter de l’été, puisque les routes peuvent être difficiles d’accès et la tente difficilement déployée pendant l’hiver. Avec des visas limités mais finalement peu contraignants pour traverser l’Asie centrale, nous avons donc passé quasiment deux mois à rouler et à explorer afin de relier Astrakan à Almaty tout en découvrant ces vastes pays. Finalement, nous avons peu exploré le Kazakhstan, ne passant que quelques jours à Atyrau et Almaty. Ce pays, largement désertique et riche en pétrole et uranium, est aussi connu pour ses jeux nomades, mais ceux-ci sont peu pratiqués en juillet. Il reste les villes et quelques endroits naturels à explorer, éparpillées sur des milliers de kilomètres où l’autostop ne semble pas approprié. Almaty offrait un bon équilibre entre la découverte d’une ville kazakhe moderne et la possibilité de partir en randonnée.
On a rencontré Dana qui a accepté de nous héberger une nuit à Almaty et nous a conseillé pour faire une petite randonnée à proximité. Après une agréable soirée passée ensemble, d’abord autour d’un restaurant puis autour d’un thé, nous avons pris la route vers le plateau de Kok-Zhaylyau. Nous avons pris un bus de ville pour nous rapprocher un maximum. Puis, nous avons grimpé quelques kilomètres avant d’atteindre le plateau. L’exercice fut exigeant avec le poids de nos sacs, mais la vue en valait la peine, pour cette dernière nuit au Kazakhstan avant de repartir en autostop le lendemain vers la Chine.