Le voyage de Typhaine : trois années sur le continent américain en canoë, van, autostop et à vélo
À 30 ans, Typhaine, alias @titi_autour_du_monde sur instagram, décide de tout quitter pour un voyage au long cours, portée par une quête de liberté et de sens. De l’Alaska à l’Amazonie en passant par le Canada et l’Argentine, elle nous raconte ses trois années d’aventures, de rencontres humaines et animales, de galères surmontées et ce lien fort qu’elle entretient avec la nature.
Comment est né ce projet de long voyage ?
J’ai une âme de baroudeuse, un besoin profond de découverte, de liberté, d’exploration. Je me souviens de mon tout premier voyage en solo, quand j’étais encore au lycée : c’était en Belgique ! J’ai commencé petit, puis de plus en plus loin, de plus en plus longtemps : un peu en Europe, en Nouvelle-Zélande, en Indonésie, un PVT en Australie… et là, j’ai mordu à l’hameçon !
Ce rêve de tour du monde, je l’avais en tête depuis longtemps. Mais pour des raisons écologiques, je ne voulais plus prendre l’avion. J’avais 30 ans, pas d’enfants, une grande envie de voyager… alors je me suis dit : c’est maintenant ou jamais. Quitte à tout quitter, autant le faire à fond. Je savais que si je ne partais que quelques mois, je devrais me réinsérer, me réinstaller… et me connaissant, j’aurais voulu repartir tout de suite. Alors je suis partie avec l’idée d’un voyage de trois ans. Finalement, je n’ai même pas fait la moitié de ce que j’avais prévu ! Je me suis laissée porter par les opportunités. J’ai ajusté mon plan, et le voyage va en fait durer 5 ou 6 ans !
Tu as expérimenté différents moyens de transport et manières de voyager. Raconte-nous.
Je suis partie avec mon sac à dos, et à l’origine, je devais rejoindre l’Amérique en voilier. J’avais trouvé un capitaine, tout était prêt… mais le Covid est arrivé, et on a dû tout annuler.
J’avais déjà un PVT pour le Canada avec une date d’entrée fixe, donc j’ai fini par prendre un avion pour Montréal. J’y suis restée un an et demi dont 4 mois à Montréal. Là-bas, j’ai travaillé dans la restauration, dans des usines, sur des chantiers de construction, dans la vente, et aussi dans mon domaine : la conservation de la nature. J’ai été guide dans un parc national. J’ai trouvé du travail assez facilement. J’ai acheté une voiture que j’ai aménagée pour voyager à travers le pays. Je suis allée jusqu’en Alaska, puis dans l’Ouest des États-Unis. Après un accident, j’ai continué en van.
Ensuite, j’ai traversé l’Amérique centrale en bus et en stop, jusqu’à la Colombie. À Bogota, j’ai acheté un vélo pour continuer à travers le pays, jusqu’à l’Amazonie équatorienne. Avec un ami, on a acheté un canot en bois. On a descendu 900 km de rivière à la rame jusqu’à Iquitos au Pérou, nos vélos à bord. Après ça, on a revendu le canot, on s’est séparés, et j’ai continué la descente de l’Amazone en bateaux publics jusqu’au Brésil. Là, j’ai repris le vélo, parfois le bus, le long de la côte. Aujourd’hui, je suis en Argentine et je compte poursuivre vers le Chili, la Bolivie, le Pérou, et la partie de l’Équateur que je n’ai pas encore explorée.
Mon objectif : vendre mon vélo au Pérou ou en Colombie et trouver un voilier pour rejoindre l’Asie. Là-bas, j’aimerais expérimenter une autre manière de voyager — peut-être à pied, en moto ou à cheval !
Qu’est-ce que tu retiens de ces trois années ?
Que c’est une vie exceptionnelle ! Tous les pays ont quelque chose de magique. Mais ce sont surtout les rencontres qui marquent un voyage. J’ai adoré le Canada, car c’était la première étape et j’y ai travaillé, donc j’ai tissé des liens plus profonds. Ça change tout. Le Guatemala aussi, grâce aux gens que j’y ai rencontrés. Et le Brésil, l’Argentine… c’est mon numéro un ! Je vais y faire un PVT, peut-être pour un an. J’ai envie d’y rester, je m’y sens vraiment bien.
Comment vis-tu le voyage à vélo ?
Voyager à vélo change tout : la vitesse, les rencontres, les lieux accessibles. C’est lent, mais tu avances, tu vois le paysage défiler, tu peux aller là où les bus ne passent pas. Cette liberté est immense… mais elle se mérite ! C’est ton corps qui paye l’effort. Ce que j’aime, c’est aussi le lien que ça crée avec les gens. En vélo, on suscite souvent la curiosité. Tu ne passes pas pour un touriste comme les autres, contrairement au bus où tu te fonds dans la masse. En voiture ou en van, tu peux rester plus à l’écart.
Le vélo, c’est aussi économique : je dors où je veux car j’ai tout pour être autonome (tente, de quoi cuisiner, filtres à eau, etc). Je n’utilise pas d’applications d’hébergement parce que j’ai du mal à demander, à me sentir redevable. Mais parfois, les gens m’accueillent spontanément. Et au final, j’ai rarement roulé seule. Ou alors, c’était un choix. Ce qui arrive aussi.
Comment est née ta volonté d’éviter l’avion ?
Lors de mon dernier grand voyage, en Indonésie, je prenais régulièrement l’avion pour passer d’une île à l’autre. À un moment, je me suis interrogée sur cette manière de voyager. Petit à petit, mon mode de vie a changé, en lien avec ce mouvement collectif autour de la sobriété, qui prend de plus en plus d’ampleur en France. J’ai revu ma consommation, j’ai cherché à produire moins de déchets, à acheter local et organique… et ça m’a paru logique d’étendre ces choix à ma façon de voyager. Ce n’est pas toujours facile à appliquer, ça demande une conviction assez forte pour tenir sur la durée.
Comment gères-tu ton budget ?
Le budget dépend vraiment de ta manière de voyager. Je ne voyage pas toujours en mode « roots », parce que ça demande beaucoup d’énergie, et ce n’est pas toujours soutenable sur le long terme. J’ai économisé pendant longtemps avant de partir, et j’ai la chance d’avoir reçu un peu d’aide familiale.
Si je devais donner une fourchette, sans compter les frais initiaux comme l’assurance, le matériel, ou les vaccins, je dirais qu’il faut environ 10 000 euros par an pour vivre au quotidien. Bien sûr, ça varie beaucoup selon les pays. En Amérique latine, par exemple, tu peux vivre avec beaucoup moins qu’en Amérique du Nord.
As-tu un fil rouge dans ton voyage ?
Oui, clairement, et ça me paraît indispensable pour tenir un projet de voyage aussi long. Je fais beaucoup de photo animalière, c’est un aspect essentiel pour moi : ça donne du sens à mon voyage. C’est une manière d’observer, de documenter, et aussi de partager la beauté du monde vivant. Je prends le temps d’observer la faune, de noter les espèces que je croise, d’apprendre sur leurs habitats, leurs comportements…
Je suis aussi très curieuse des cultures locales, notamment des traditions autochtones sur le continent américain. J’essaie d’entrer en contact avec ces peuples, de découvrir leurs savoirs, leur rapport à la nature.
Je réalise aussi des vidéos de personnes engagées dans la préservation de l’environnement. C’est un projet que j’aimerais développer davantage, mais ce n’est pas toujours simple à concrétiser en bougeant constamment.
Quelles rencontres humaines t’ont particulièrement marquées ?
Au Canada, sur l’île de Vancouver, j’ai passé deux mois dans une communauté en écovillage. Ça a été une expérience humaine très forte. Là-bas, les gens travaillent en lien avec les écoles locales, autour de la permaculture, de l’écoconstruction, et de l’élevage. Il y a aussi une vraie connexion avec les communautés autochtones du coin, et un lien profond avec la nature.
Ce qui m’a marquée, c’est la façon dont ils organisent la vie collective : il y a des outils concrets pour éviter que les tensions s’installent. Par exemple, une fois par semaine, on se retrouvait tous en cercle, dans une ambiance calme, et chacun partageait librement ce qu’il ressentait. Personne n’interrompait, on était simplement dans l’écoute. Et ça, ça change tout. On a rarement l’espace, dans nos vies, pour s’exprimer sans filtre et être vraiment écouté.
Et puis il y a eu cette rencontre en Amazonie. J’ai passé trois jours avec une chamane brésilienne, qui est aussi médecin généraliste dans sa communauté — et qui a vécu en France. À la base, je cherchais juste un guide pour aller observer la faune… et je suis tombée sur elle. C’était une rencontre inattendue, profonde. C’est personnel, mais je peux dire qu’elle m’a changée. Elle a pris soin de moi, elle m’a aidée à guérir certaines choses, sans substances, je précise !
Et les rencontres animales ?
Il y en a eu plusieurs ! Au Canada, une nuit, j’ai senti ma voiture bouger. Sur le moment, je ne me suis pas trop inquiétée. Le lendemain matin, j’ai découvert des traces de griffes sur le pare-brise… d’un ours noir ! Au Guatemala, vers cinq heures du matin, je marchais seule dans la jungle avec mon appareil photo. J’étais en train de photographier un oiseau quand j’ai senti une présence derrière moi. Je me suis retournée très lentement… et à trois ou quatre mètres de là, un puma me fixait. Il a avancé un peu, toujours en me regardant, puis a fini par repartir. En Alaska, j’ai croisé une ourse avec ses trois petits. Heureusement, j’étais dans un véhicule cette fois-là ! Et puis il y a eu Yellowstone… J’y suis restée plusieurs jours, et au bout de trois levers à l’aube, j’ai enfin pu observer une meute de loups. C’était un moment très fort, que j’espérais depuis longtemps. Sur le canot en Amazonie aussi, on a vu à plusieurs reprises des dauphins roses (dauphins d’eau douce) qui sortaient de l’eau pour reprendre leur respiration à quelques mètres de nous .. c’était magique !
Parle-nous de tes galères.
La première grosse galère, c’était un accident de voiture, au Canada. Heureusement, personne n’a été blessé, mais gérer ça dans un pays étranger, avec une langue que je ne maîtrisais pas encore très bien, et sans trop connaître les lois ou les assurances locales… c’était vraiment stressant.
Et puis, j’ai aussi vécu deux agressions. La première, un homme armé m’a braquée pour voler mon téléphone au Brésil. La seconde fois, à Buenos Aires, je marchais seule quand un groupe d’une dizaine de gars m’a abordée. Comme c’est courant dans certains pays que les gens t’interpellent dans la rue, je ne me suis pas inquiétée. Pendant qu’un me parlait, un autre m’a arraché ma banane, avec tous mes papiers, mon téléphone, mon argent… Heureusement, j’avais gardé mon passeport séparément. Et j’avais un vieux téléphone de secours. Une amie devait justement me rejoindre deux semaines plus tard depuis la France, et elle a pu m’apporter une nouvelle carte bancaire.
Comment ta manière de voyager a-t-elle évolué au fil des années ?
Au début, j’avais une idée assez précise des pays où je voulais aller, et je traçais un itinéraire en essayant de suivre les saisons. Mais avec le temps, je suis devenue beaucoup plus flexible. Il y a toujours des choses que j’ai envie de voir, mais je priorise de plus en plus mon énergie. Quand on voyage sur le long terme, on ne peut pas tout faire, tout voir.
Aujourd’hui, j’assume le fait de ralentir. J’apprécie de rester longtemps au même endroit, de m’immerger vraiment, plutôt que de passer en coup de vent d’un lieu à l’autre. Je me sens souvent un peu en décalage avec les voyageurs qui partent pour quelques semaines, avec un programme très chargé. Moi, il m’arrive de ne rien faire pendant trois jours, juste de me reposer, et je le vis très bien !
As-tu quand même des routines ?
Oui, et je pense que c’est essentiel pour garder un certain équilibre, surtout quand on est en mouvement permanent. Pour moi, c’est une manière de satisfaire mon besoin d’ancrage, qui est naturellement présent en chacun de nous je pense. Tous les jours, je m’accorde au moins une heure rien que pour moi. Je ne fais rien de particulier : j’écoute de la musique, je me recentre. Et j’espère bien garder cette habitude, même si un jour je me pose quelque part de manière plus stable. Quand tu voyages, tes sens sont sans cesse sollicités, tu rencontres du monde tous les jours… c’est très riche, mais aussi très énergivore. Cette routine me permet de rester alignée.
Peux-tu mettre des mots sur ton évolution, sur ce que ce voyage t’apporte ?
La liste est longue ! J’ai énormément grandi. La première chose, c’est l’adaptation. J’ai appris à m’adapter à presque tout. J’ai l’impression de ne plus avoir beaucoup de limites. Et puis, je juge beaucoup moins. On ne s’en rend pas compte, mais on a vite fait de comparer, de critiquer ce qu’on ne connaît pas. Je n’ai plus peur de grand-chose non plus. J’ai toujours eu une sorte de niaque, une envie de réaliser mes rêves, mais là… maintenant, j’ai vraiment l’impression que tout est possible. Si je le veux, si je me donne les moyens, je peux y arriver. Mon rapport aux autres a changé aussi. Le caractère éphémère des rencontres en voyage me pousse à les vivre pleinement. J’apprends à être dans le moment présent, même si ce n’est pas toujours facile. Mais quand j’y parviens, ça change tout. Et j’ai aussi découvert les limites – ou plutôt les capacités – de mon corps. Lors d’un voyage en canot, j’ai été confrontée à de vraies situations de survie. Et j’ai vu jusqu’où je pouvais aller, ce que mon corps et mon mental étaient capables d’endurer. En fait, dès que je fais le premier pas, les peurs s’effacent.
Mon PVT en Argentine, par exemple, ce n’était pas du tout prévu. J’ai dû revoir tous mes plans, je ne sais même pas encore par où commencer… Et pourtant, cet inconnu, il me rend heureuse. Il me stimule. Je ressens même une sorte d’addiction à ce sentiment de dépassement de soi. Voyager, c’est comme si ça activait une nouvelle zone de mon cerveau.
Comment tu te vois dans quelques années ?
J’ai encore du mal à me projeter. Je sais que je ne voyagerai pas de cette façon toute ma vie – déjà pour des raisons financières, mais aussi parce que certains besoins restent difficiles à combler, comme construire des relations profondes, ou amoureuses.
Cela dit, je sens que j’aurai besoin d’une phase de transition après ce grand voyage. Peut-être un travail qui me permettrait de continuer à bouger encore un peu, ou un job saisonnier, ou quelque chose en lien avec la faune, le tourisme, la nature… J’y réfléchis. Ce qui est sûr, c’est que je ne me vois pas rentrer et m’installer immédiatement dans une vie sédentaire. Mais à long terme, je me vois bien vivre en France. Ma famille, mes amis sont là. Même s’ils ne sont pas eux-mêmes tous voyageurs – je ne pense pas qu’ils imaginent vraiment ce que je vis – ils me soutiennent, ils me font confiance. Et ça, c’est une vraie chance. Je crois que ça m’aide beaucoup.
Qu’est-ce que tu dirais à quelqu’un qui a peur ?
On me pose souvent cette question « Tu n’as pas peur, toute seule ? », je réponds systématiquement « Peur de quoi ? », et souvent les gens ne savent pas vraiment me répondre. Je pense que c’est la peur de l’inconnu total dont on parle ici … car les autres peurs potentielles comme peur de se faire agresser, peur d’avoir des problèmes d’argent, peur de la solitude.. sont des peurs qu’on a aussi en restant à la maison, il me semble.
Moins tu connais, plus tu as peur. Et je dirais : si tu as peur, prends ton courage à deux mains et va voir quand même. Va vérifier si cette peur vaut vraiment le coup. Parce que 99 % du temps… non, ça ne le vaut pas. Il faut prendre conscience que cette appréhension, elle vient de notre esprit, de notre mental. Il y a des moments dans la vie où il ne faut pas trop réfléchir : il faut juste y aller. Tellement de choses n’arrivent qu’en sortant de chez soi, en sortant de sa zone de confort. Je ne connais personne qui regrette d’avoir essayer de réaliser ses rêves. Alors, il ne faut pas se laisser guider par ses peurs et prendre des risques, car c’est ça je crois, être Vivant.
Vous pouvez suivre Typhaine sur son Polarsteps ou sur son site internet : https://levivantduglobe.com