Slow travel : faut-il absolument renoncer à l’avion ?
Le slow travel est-il incompatible avec l’avion ? Est-ce que voyager lentement signifie forcément rester à terre ? C’est une question que beaucoup se posent, surtout face à la crise climatique, aux injonctions morales, ou simplement à la difficulté de voyager autrement. Voici une réflexion personnelle issue de notre expérience sur les routes (et parfois en mer).
Revenir aux origines : à ce qui nous anime dans le slow travel
Dans le slow travel, ce qui me plaît, ce n’est pas le fait de ne pas prendre l’avion. C’est de prendre le temps pour soi, d’accorder du temps à l’environnement qui t’entoure, aux autres. C’est partir à l’aventure, à la découverte, sans savoir exactement ce qui nous attend. Certes, l’avion est un peu l’archétype de l’opposé du slow travel : on survole des dizaines de pays, de cultures, pour finalement atterrir quelque part où tout le monde va. Mais quand tu choisis de prendre ton temps, de voyager avec lâcher-prise, sans attente ni préjugé, alors ne pas prendre l’avion devient une conséquence naturelle, pas une règle. Pourquoi cette culture, cette nature proche de toi ou simplement sur ton chemin vaudrait-elle plus ou moins qu’une autre à l’autre bout du monde ? Il n’y a pas de hiérarchie. Il y a juste des expériences à vivre pleinement.
Voyager lentement, ce n’est pas aller vite sans avion
Si l’imaginaire du voyage sans avion consiste à traverser toute l’Eurasie en quelques jours ou semaines, alors on retombe dans les mêmes travers : on survole les pays, sans vraiment les rencontrer. À vouloir aller trop vite, même sans avion, on effleure les territoires sans les comprendre.
Éviter l’avion n’est pas un exploit
Dans cette démarche, éviter l’avion, c’est normal. Mais ce n’est ni une quête, ni un exploit. Aujourd’hui, beaucoup transforment ça en performance ou en morale. Et je trouve que c’est contre-productif. On peut se fixer des défis personnels, selon nos moyens – de temps, d’argent, de logistique – tout en étant conscients de notre impact écologique et social. Mais ça ne doit pas devenir une finalité en soi. Enfin, voyager de la sorte, c’est surtout un énorme privilège grâce au passeport français, l’un des plus puissants au monde en l’état actuel des choses. Tandis qu’on peut partir presque partout, certaines nationalités ne peuvent même pas s’imaginer de pouvoir voyager sans avion.
Les vraies frontières ne sont pas que géopolitiques
On oublie souvent une réalité : pour beaucoup, les frontières ne sont pas seulement politiques. Elles sont sociales, économiques, culturelles. La pauvreté immobilise certains là où ils sont. Bouger, changer d’endroit, ce n’est pas toujours un choix. Et parfois, ce n’est même pas un rêve. Pour d’autres, notamment dans les classes moyennes, la mobilité dépend de deux choses : le temps et l’argent. Et dans ce contexte, l’avion reste souvent l’option la plus accessible. Tout le monde ne peut pas voyager, encore moins sans avion – y compris dans les pays occidentaux.
Une tentative : relier l’Indonésie à l’Australie sans avion
De notre côté, on a tenté de relier l’Indonésie à l’Australie en bateau-stop. Ce fut notre première expérience. Voyager en voilier était un moyen pour nous de partir à l’aventure et de découvrir un monde inexploré. On aurait pu attendre six mois pour avoir la bonne saison, avec les vents dans le bon sens. Mais pour nous, ce n’était pas ça, le slow travel. Rester bloqués, figés dans l’attente, juste pour réussir un défi, ça aurait cassé la fluidité de notre voyage. Alors on s’est donné une limite d’un mois, à un moment où il y avait une petite ouverture météo. On a potassé tous les livres sur les voiliers qu’on a pu trouver. On a vu des bateaux partir sans nous. Et puis, après pas mal de recherches, on a trouvé un capitaine prêt à nous embarquer jusqu’à Darwin. Un mois plus tard, on était prêts à partir avec lui. Le capitaine était enthousiaste, malgré quelques incertitudes (l’état du bateau, les papiers…). Mais à quatre heures du départ, le moteur a lâché. Il a fallu accepter. C’était notre limite, le cadre qu’on s’était fixé. On a pris l’avion. Et on ne regrette rien. On est même soulagés que le problème soit arrivé avant le départ, pas en plein océan. Oui, ça fait un petit coup à l’ego. Mais on a essayé. Et on est fiers de l’avoir fait. Ce qu’on retient, c’est ce qu’on a vécu, pas l’échec du défi.
La mer, les bateaux… et les contradictions
Les passages en mer, c’est un point sensible. Promouvoir le voyage sans avion en prenant un bateau de croisière ou un cargo, c’est une contradiction difficile à assumer. Quant aux voiliers : on a tenté. Mais être en quête d’un bateau donne parfois l’impression de déranger. Et surtout, on ne partage pas toujours les mêmes valeurs avec les capitaines. Certains prennent l’avion sans scrupules. D’autres sont extrêmement aisés, dans des pays pauvres. Il faut savoir que la plupart des capitaine restent à quai la plupart du temps. On est souvent loin du récit idéalisé.
Le vrai score, c’est ce que tu vis
Soyons honnêtes : la plupart des gens ne jugeront pas ton « score de voyage ». Ils seront juste contents pour toi, ou tristes avec toi, mais ça ne changera rien à leur vie. Ce qui compte, c’est ce que toi tu vis, ce que tu apprends, ce que tu partages. Et si on réduit le nombre d’avions qu’on prend, c’est déjà une belle réussite. Pas seulement pour l’écologie, mais parce que ça montre un état d’esprit : curieux, attentif, à l’écoute du monde. Et ça, c’est précieux.
En résumé : c’est un choix personnel, pas un dogme
Voyager sans avion, c’est un choix fort, mais c’est un choix personnel. Pas un concours. Pas une règle universelle. Ce cadre, c’est aussi ta responsabilité : envers les territoires traversés, envers les gens qui y vivent, envers le sens que tu donnes à ton voyage. C’est aussi une réflexion sur les rêves qu’on nourrit, et les désirs qu’on questionne : « Je rêve, mais c’est peut-être le leur. » Et puis, ce cadre, c’est aussi envers tes propres limites. Celles que tu peux repousser, parfois. Mais toujours en conscience.